vendredi 1 mars 2019

L'Inde et le Pakistan sur le pied de guerre

C’est une scène inédite depuis des années qui s’est déroulée mercredi matin entre l’Inde et le Pakistan : des avions de chasse des deux nations ennemies se sont affrontés le long de la «ligne de contrôle», la frontière de facto dans la région disputée du Cachemire. Selon le gouvernement indien, trois avions F-16 pakistanais ont traversé cette frontière et auraient même lancé des charges sur le territoire indien. Des avions indiens de combat MIG-21 les ont alors pourchassés et dans cet affrontement, un F-16 pakistanais et un MIG-21 indien ont été abattus et se sont écrasés du côté pakistanais de la frontière. Islamabad affirme avoir capturé ce pilote indien. C’est une escalade militaire potentiellement explosive entre ces deux frères ennemis, qui se sont menés quatre guerres depuis l’indépendance de 1947 et qui possèdent à présent l’arme nucléaire.
La mèche a été allumée par l’attaque terroriste menée dans la ville de Pulwama, au Cachemire indien et revendiquée par le groupe islamiste pakistanais Jaish-e-Mohammed. Le 14 février, une voiture chargée d’explosifs percute un convoi de paramilitaires et tue 41 soldats, la plus lourde perte pour l’armée indienne depuis des décennies. Le gouvernement indien, dirigé par le nationaliste hindou Narendra Modi, réplique mardi : une quinzaine d’avions de combat, dont douze Mirage 2 000, traversent la «ligne de contrôle» et bombardent ce que New Delhi présente comme un énorme camp d’entraînement du Jaish-e-Mohammed.

«Match de boxe»

L’Inde décrit cette opération comme «préventive et non-militaire», affirmant que l’organisation terroriste était sur le point de lancer de nouvelles attaques. Nous sommes alors encore dans une guerre non-conventionnelle entre un groupe terroriste et une armée régulière. Mais la bataille de mercredi matin change la dimension du conflit : ce sont cette fois les deux armées qui s’affrontent. «Il fallait s’attendre à une riposte après que l’aviation indienne a pénétré aussi profondément dans le territoire pakistanais,affirmait le maréchal en chef Srinivasapuram Krishnaswamy, ancien commandant des forces aériennes indiennes, lors d’un débat télévisé. Quand vous êtes dans un match de boxe et que vous envoyez un coup, vous ne vous attendez pas à ce que l’opposant vous reçoive avec un bouquet de fleurs. La question, c’est jusqu’où nous pouvons aller ? Est-ce que l’Inde doit à son tour répliquer ou pas ?» Dans l’après-midi, le Premier ministre pakistanais a tendu la main à son homologue indien en appelant au «dialogue». «La seule intention de notre action d’aujourd’hui est de montrer que si vous entrez dans notre pays, nous pouvons faire de même, a déclaré Imran Khan dans une déclaration télévisée. Maintenant il est impératif que nous utilisions notre tête et agissions avec sagesse.»
Ces appels au calme ne convainquent pas les autorités indiennes, qui accusent le Pakistan de chercher le dialogue quand il est acculé, mais de soutenir en même temps les groupes terroristes qui lancent des attaques en Inde.
Le point de crispation est, depuis la naissance des deux pays en 1947, autour de la souveraineté du Cachemire. Cette ancienne principauté a rejoint l’Union indienne après le départ des colons britanniques et la promesse de New Delhi d’organiser un référendum d’autodétermination. Mais Islamabad n’a jamais accepté le contrôle de son rival sur ces terres himalayennes à majorité musulmanes et riches en ressources hydriques.

Complices

La première guerre indo-pakistanaise pour le contrôle du Cachemire a donc lieu en 1947 et se conclut par une division de la région le long de la «ligne de contrôle». Et depuis trente ans, New Delhi accuse l’armée et les services de renseignements pakistanais de mener une guerre par procuration en soutenant des groupes indépendantistes du Cachemire indien, ainsi que d’entraîner des terroristes au Pakistan avant de les envoyer en Inde. C’était le cas pour l’attaque de Bombay par un commando pakistanais en 2008, menée, selon New Delhi, par le groupe pakistanais du Lashkar-e-Taiba et cela était de nouveau le cas pour l’attaque du 14 février revendiquée par l’organisation du Jaish-e-Mohammed (JeM). Cette dernière est classée sur la liste des organisations terroristes de l’ONU mais opère de manière assez libre au Pakistan. Ce qui fait dire à New Delhi que les services pakistanais sont complices de ces attaques. Le Premier ministre, Narendra Modi, a toutefois voulu montrer qu’il ne tolérerait plus cette duplicité et a autorisé, pour la deuxième fois en trois ans, une «opération chirurgicale» sur le sol pakistanais contre des installations terroristes. «Si les Etats-Unis ont pu aller à Abbottabad pour tuer Ben Laden, pourquoi l’Inde ne pourrait pas faire de même», a déclaré mardi le ministre indien des Finances, Arun Jaitley. Le chef du JeM, Masood Azhar, aurait survécu à l’attaque de lundi mais plus de 300 militants auraient péri sur place, selon New Delhi. Ce qu’Islamabad dément.
L’inde, qui n’a jamais initié les quatre précédents conflits avec son voisin, est également engagée dans une offensive diplomatique depuis deux semaines, avec comme objectif de placer Masood Azhar sur la liste des terroristes de l’ONU. La France a affirmé qu’elle déposerait au Conseil de sécurité cette demande déjà appuyée par le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Seule la Chine, alliée économique du Pakistan, s’y opposait jusqu’à présent. Alors que la tension militaire grimpait, Pékin est devenu moins chaleureux dans son soutien à son embarrassant partenaire pakistanais.

Article paru dans Libération le 28 février