mercredi 5 juin 2019

Deuxième mandat historique pour l'hindouiste Narendra Modi


Le parti du Premier ministre, le BJP, a remporté les législatives à la majorité absolue pour la deuxième fois consécutive. Un résultat obtenu, en dépit d’une situation économique mauvaise, grâce à une campagne axée sur la division religieuse et la surenchère sur la menace terroriste



Deux militants en tunique safran et or arrivent solennellement devant le siège du Bharatiya Janata Party (BJP), au son de leur conque religieuse et munis d’un sceptre artisanal : un bâton d

e deux mètres coiffé de rayons solaires qui tournent autour du visage de Narendra Modi. Il est midi, et l’image du nouveau «Roi Soleil» règne déjà sur la destinée de 1,3 milliard d’Indiens. Le parti nationaliste hindou, au pouvoir depuis 2014, s’est assuré jeudi une victoire historique : il remporte la majorité absolue pour la deuxième fois consécutive, ce qui n’était pas arrivé depuis 1984. Seule la formation la plus ancienne du pays, le Congrès, avait réussi un tel exploit.
La centaine de partisans réunis devant le QG du BJP exultent, font exploser des pétards et sonner les tambours au chant de «Vive Ram, vive Modi», assimilant le dieu hindou au leader charismatique. Ces élections législatives indiennes sont devenues un référendum sur la personne de Modi, tant il a transformé sa fonction de Premier ministre d’un Etat fédéral en une direction présidentielle centralisée. Ses décisions les plus controversées et dévastatrices, comme le retrait de l’essentiel des billets de banque en 2016, ont ainsi été prises quasiment sans consultations - une procédure autoritaire qui a choqué au sein de la démocratie la plus peuplée du monde.
Mais Narendra Modi remporte finalement le plébiscite : tout le nord et le centre de l’Inde, du Rajasthan jusqu’au Bengale, ont été balayés par une vague safran, couleur de l’hindouisme et du BJP, qui a même emporté le siège d’Amethi, circonscription tenue par la dynastie des Nehru-Gandhi depuis 1980. Le député sortant de cette ville de l’Uttar Pradesh n’est autre que Rahul Gandhi, président du Congrès, principal parti d’opposition, et aspirant au poste de Premier ministre. Il ne conserve son poste de député que grâce à sa deuxième candidature et sa victoire à Wayanad, une localité bien moins conflictuelle. Seules les régions méridionales du Kerala et du Tamil Nadu ont échappé au tsunami hindouiste du BJP ou de ses alliés.

Second souffle

Rien n’était pourtant gagné pour Narendra Modi, dont le bilan économique est particulièrement mauvais : le chômage a triplé en six ans, des centaines de millions d’agriculteurs sont dans une détresse affolante et les mesures choc prises par son gouvernement n’ont fait qu’empirer la situation. Pendant la campagne, le BJP a donc évité tous ces thèmes, ainsi que les promesses de développement qui l’ont porté au pouvoir en 2014, et privilégié des sujets plus populistes, comme la sécurité nationale et la division religieuse.
Deux mois avant le début du scrutin, un événement tragique a offert un second souffle au Premier ministre et s’est avéré déterminant dans sa victoire : une terrible attaque de terroristes pakistanais a tué 41 paramilitaires au Cachemire indien. Dix jours après, le gouvernement a répliqué en envoyant des chasseurs bombarder un camp de terroristes au Pakistan, une manœuvre inédite qui définit toute la dialectique du BJP.
Modi se présente dès lors comme le «gardien» de la nation indienne contre les islamistes voisins, et le référendum devient impossible à remporter pour l’opposition. «C’est le terrorisme ou Narendra Modi», avertissent les candidats du BJP pendant la campagne. Dans l’Etat de l’Uttar Pradesh, qui connaît depuis longtemps des tensions entre hindous et musulmans, le chef du gouvernement régional, un moine radical du BJP, sillonne l’Etat en présentant l’islam comme un «virus» et les musulmans comme des traîtres qui collaborent avec le Pakistan. Ce discours venimeux lui vaut une interdiction de faire campagne pendant trois jours, une sanction rare de la Commission des élections, mais la méfiance religieuse est instillée et le BJP ratisse le vote majoritaire des hindous.

Omniprésence

«Cette victoire montre qu’en Inde, on peut désormais remporter une grande élection sans avoir un bon bilan économique, analyse Gilles Verniers, directeur du centre de données politiques de l’université Ashoka, à New Delhi. L’Inde suit ainsi une trajectoire qu’on voit de plus en plus dans le monde, selon laquelle des gouvernements qui ont peu de prise, voire un impact néfaste, sur l’économie de leur pays parviennent à se maintenir au pouvoir par des moyens populistes, en jouant sur les émotions, le patriotisme, la sécurité nationale ou l’immigration. L’Inde est rentrée de plain-pied dans cette catégorie.»
Une des recettes de cette victoire historique est également le manque d’alternative solide : le seul parti national d’opposition, le Congrès, a d’abord été rendu invisible et inaudible pendant les cinq dernières années par l’omniprésence médiatique de Narendra Modi, à la télévision, à la radio et dans les journaux. Il n’a pas donné une seule conférence de presse pendant son mandat mais s’est adressé quasiment tous les mois aux Indiens par de longues interventions au micro de la radio publique, tel un Chavez hindou et de droite.
Et surtout, le Congrès, qui a dirigé l’essentiel des gouvernements depuis l’indépendance de l’Inde, n’a pas su se renouveler depuis sa défaite cuisante de 2014. «Ils sont à la fois déprimés, dépressifs et arrogants, ce qui est une combinaison désastreuse, poursuit Gilles Verniers. Le problème du parti du Congrès, c’est qu’ils ne savent pas faire sans les Gandhi». Rahul Gandhi, quatrième génération à la tête de la formation, a surtout présidé au déclin du Congrès. Il a présenté sa démission jeudi soir, mais elle sera certainement refusée, faute de remplaçants.

Article publié dans Libération le 24 mai. 

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