lundi 16 août 2021

Auroville, cité utopiste qui a "réussi à perdurer sans se figer"


Le bâtiment blanc en demi-cercle se fond dans la végétation de palmiers et de bananiers. A l’intérieur, une brise agréable circule grâce à plusieurs ouvertures et vient refroidir les bureaux et ses nombreux ordinateurs. L’ambiance est calme et studieuse. Nous sommes à Auroville Consulting, pépinière d’innovations écologiques de cette cité utopique, nichée depuis un demi-siècle près de Pondichéry, à l’extrême sud-est de l’Inde.


Les bureaux d'Auroville Consulting (Gayatri Ganju / Libération)


Kshitij, un technicien informatique de 28 ans, présente fièrement la dernière création de cet incubateur d’une trentaine de chercheurs : un moteur de recherche alternatif, appelé solse.org, qui fonctionne en utilisant la technologie du moteur Bing de Microsoft. Mais à la différence des plateformes traditionnelles, celle-ci ne collecte pas de données personnelles pour les monnayer. Son modèle est différent : elle génère des revenus quand l’internaute clique sur une publicité et cet argent est utilisé pour installer des panneaux solaires dans les villages voisins d’Auroville. «Nous faisons confiance à l’utilisateur et ne voulons pas le suivre à la trace», résume Kshitij. Comme toutes les personnes interrogées, il ne donne pas son patronyme, qui identifie les castes en Inde. «Ce projet est à l’image d’Auroville, qui doit être durable dans tous les sens du terme – écologique et social.» Ce jeune Indien souriant, les cheveux longs ramassés en queue-de-cheval, est un «nouveau» à Auroville : il y a encore quatre ans, il vivait dans la grouillante Jaïpur, où il dirigeait sa propre société d’informatique. Sa carrière était prometteuse, son compte en banque bien rempli. Mais courir après l’argent l’a épuisé. «Ici, je vis et travaille pour l’environnement et c’est le secret du sourire que vous voyez sur mon visage», conclut-il. 

L’engagement écologique apparaît comme une évidence quand on zigzague dans les chemins boisés d’Auroville : la forêt luxuriante nous accompagne partout ; les maisons de brique et ciment sont aérées et coiffées d’une épaisse végétation, ce qui réduit le recours à la climatisation dans cette région tropicale ; et beaucoup d’habitants utilisent des vélos électriques, fait exceptionnel en Inde. L’écologie n’est pourtant pas l’objectif principal d’Auroville – ville fondée en 1968 par la Française Mirra Alfassa (1878-1973), appelée «la mère», avec l’influence du philosophe indien Aurobindo Gose. L’harmonie avec la nature est plutôt le dérivé d’un projet plus large, défini par le quatrième point de sa charte : "Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète". 

Le bien collectif

L’«unité humaine» s’y matérialise par la présence de 3 200 résidents venant de 59 nationalités différentes, soit environ un tiers de celles représentées à l’ONU – près de la moitié sont des Indiens et les Français (454) et Allemands (258) sont les étrangers les plus nombreux. Pour éviter les divisions, il n’y a pas de religion à Auroville, ni de temple – si ce n’est une énorme et célèbre boule dorée appelée le Matrimandir, ou temple de la mère, qui symbolise l’unité de la «force divine» représentée souvent en Inde par l’énergie féminine, appelée Shakti. La spiritualité s’incarne dans le quotidien, concept indien qui a été résumé par Aurobindo dans sa théorie du «karma yoga», le yoga de l’action. L’objectif ultime des habitants d’Auroville est donc «d’élever leur conscience» par leur labeur en faveur du bien collectif. Et c’est là que l’exercice devient difficile.

Car premièrement, il n’y a pas de propriété foncière privée dans cette cité. «Mes parents ont fait construire la maison dans laquelle j’habite, mais elle ne m’appartient pas, explique Chali, une Américaine qui vit à Auroville depuis 36 ans et a été élue pour siéger au «comité de travail» de la ville, une sorte de conseil municipal. Cette maison appartient à la fondation d’Auroville.» Cette entité a été créée en 1988 par le Parlement indien pour protéger ce système et ses comptes sont audités tous les ans par la Cour des comptes du pays. Cinq résolutions de l’UNESCO ont également soutenu ce projet entre 1966 et 2017.


 «Nos étudiants s’en sortent bien, même en dehors d’Auroville, car ils ont une plus grande capacité d’adaptation et d’innovation et peuvent mieux affronter les changements rapides de la société.» 
—  Jean-Yves, professeur français à Last School


Ensuite, le concept de salaire disparaît. Il est remplacé par une «maintenance», un revenu de soutien d’un montant égal pour tous les habitants qui travaillent dans Auroville, quelle que soit sa fonction, dans le but d’assurer une sorte de revenu minimum universel et égalitaire. La moitié est versée en liquide, l’autre en nature: éducation, santé, culture et sport sont ainsi gratuits.

Vivekan, franco-tamoul qui vit à Auroville depuis trois ans. (Gayatri Ganju / Libération)

Le problème, c’est que derrière l’égalité se cache la frugalité : cette «maintenance» n’est que de 18 000 roupies par mois (208 euros), dont seulement la moitié en liquide. Généralement trop peu pour vivre, surtout pour des étrangers. Une grande partie des Aurovilliens dépendent donc encore de revenus supplémentaires : travaux saisonniers ou missions en Inde, voire à l’étranger, loyers d’appartements pour les plus chanceux qui ont eu une vie moins frugale avant de venir.

Désintoxication monétaire

L’un des buts d’Auroville est aussi de mettre fin à la circulation d’argent entre les habitants, afin de retrouver des relations plus pures et non marchandes. Noble idée, mais bien compliquée à appliquer. Au quotidien, cela passe par l’offre d’un maximum de services en nature et le paiement du reste de manière dématérialisée, par une carte d’Auroville.

Et pour aller plus loin dans cette «désintoxication monétaire», une innovation vient de voir le jour: une application mobile qui permet des échanges dans une monnaie virtuelle, l’aura. Ses utilisateurs reçoivent douze auras par jour, mais ne peuvent pas les amasser: trois auras doivent être offertes et les neuf autres doivent servir à échanger des biens ou services dans la communauté, faute de quoi ils se déprécient de 9% par jour. Cela est destiné à encourager la circulation dans notre société de surplus. «Nous avons repris les principes du revenu minimum garanti, mais au lieu de créer un capital à redistribuer, nous faisons circuler ce qui existe déjà, explique Hye Jeong, une Sud-coréenne responsable de projet baptisé Aura Network. C’est donc un système de revenu circulaire minimum et garanti.» Cela permet d’éviter l’usure, qui veut que l’argent crée de l’argent, et de revenir aux lois de la nature. «Si vous avez un pommier, et que vous ne cueillez pas vos pommes, elles tombent et reviennent à la nature. C’est pareil pour l’aura.»

L’objectif final est de promouvoir une société circulaire, où les objets non utilisés sont recyclés, où les talents des personnes sont mis à profit pour aider les autres, et surtout où l’on a créé un nouveau lien social sans valeur marchande. Sous le logo jaune de l’application Aura lancée en fin d’année dernière, les 300 utilisateurs, qui doivent être des résidents d’Auroville, proposent ces jours-ci des ustensiles de cuisine, des massages, la lecture d’un livre ou une sauce tomate maison. Ce n’est pas du troc, car il y a une monnaie virtuelle échangée. Mais alors pourquoi ne pas offrir«Nous ne sommes pas encore prêts à vivre sans argent, mais cette application est une étape pour y arriver», murmure Hye Jeong, les yeux plein d’espoir.

Des villes plus humaines

Plus de 200 «unités» de création de biens et services font ainsi naître des projets innovants similaires : Eco Femme fabrique des serviettes hygiéniques réutilisables en coton pour réduire la pollution engendrée par celles jetables. Plus de 55 millions de pièces ont été vendues en Inde et à l’étranger depuis 2010, et une partie des revenus générés sert à en offrir aux filles de la région et à les éduquer à l’hygiène menstruelle. Svaram fabrique des instruments de musique artisanaux et mène des recherches scientifiques, avec des neurologues étrangers, pour aider à soigner par la musique : son fondateur, Aurelio, a appris ces méthodes en passant des années au milieu de peuples aborigènes et a créé un «sonorium», où il aide les patients à réduire les blocages des flux corporels qui peuvent provoquer tumeurs ou cancers. 

Et il y a enfin les écoles d’Auroville, dont une partie développe un enseignement alternatif, basé sur le développement personnel plutôt que sur les uniques savoirs académiques – et ne fournit donc pas de diplôme. «Nos étudiants s’en sortent bien, même en dehors d’Auroville, car ils ont une plus grande capacité d’adaptation et d’innovation et peuvent mieux affronter les changements rapides de la société», assure Jean-Yves, un Français, professeur à Last School, construite dans une magnifique jungle. Cette solution, orientée sur les valeurs humaines, est toutefois moins adaptée aux élèves qui veulent devenir ingénieurs ou docteurs et ont besoin de certains diplômes pour poursuivre leur formation.

Auroville, de l’avis de tous, reste un projet en construction, toujours perfectible – ne serait-ce que pour mieux accueillir les jeunes et ceux qui n’ont pas de capital pour construire de logement ou compléter leurs revenus. Et pour ne pas donner l’impression que l’utopie est réservée aux plus riches.

Olivier, photographe et Aurovilien
depuis 30 ans. (Gayatri Gandu / Libération)

«L’un des succès d’Auroville, projet soixante-huitard par excellence, est toutefois d’avoir réussi à perdurer sans se figer autour d’un dogme, mais en s’adaptant constamment, avance Olivier, photographe français et Aurovillien depuis plus de trente ans, assis sous le préau de son humble maison surplombée de gigantesques arbres banians. C’est une tentative radicale, car nous cherchons un nouveau modèle de société, afin de créer des villes plus humaines. Et cela ne peut réussir en quelques années. Cela prendra certainement plusieurs générations, voire plusieurs siècles."

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Article publié dans Libération le 24 mai 2021 

jeudi 12 août 2021

Régionales en Inde: les nationalistes-hindous à l'assaut du Bengale-occidental

 La grande scène du village de Khodambari, au sud-ouest de l’Etat du Bengale-Occidental (capitale Calcutta, nord-est de l’Inde), revêt les couleurs patriotiques indiennes. Sur l’estrade, des musiciens réchauffent l’ambiance grâce à une mélodieuse musique traditionnelle, et le millier de spectateurs dodelinent de la tête, ravis. Quand soudain, une voix les réveille : «Je suis la fille du Bengale, et des vandales venant de l’extérieur sont en train de nous envahir», alerte une femme drapée dans un sari blanc.

C’est Mamata Banerjee, féroce politicienne de gauche et cheffe du gouvernement régional depuis dix ans. Elle appelle à résister à l’assaut que mène le parti du Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), sur le Bengale-Occidental lors de l’élection régionale qui se termine ce jeudi. Mamata Banerjee est l’une des plus farouches opposantes à cette formation nationaliste hindoue qui règne à New Delhi et l’une des rares élues régionales à oser confronter leur «leader», le Premier ministre Narendra Modi.

Elle est donc devenue la cible «numéro 1» de ce parti, qui déploie des forces impressionnantes pour la détrôner lors du renouvellement du parlement de cet Etat de 90 millions d’habitants, dont les résultats seront annoncés dimanche. Cette élection régionale a donc un enjeu national : son issue démontrera si le BJP peut faire tomber l’une de ses plus virulentes critiques, faute de quoi sa victoire pourrait renforcer son aura et le front d’opposition.

Dans cette lutte, le BJP use de sa richesse inégalée et de son énorme influence, liée au contrôle de l’appareil fédéral politique et policier. Cela lui a permis de «retourner» environ 70 membres du parti de Mamata Banerjee, le Trinamool Congress (TMC). L’un d’entre eux, son ancien lieutenant Suvendu Adhikari, se présente aujourd’hui contre elle dans cette circonscription de Nandigram. «Ils ont énormément d’argent et le distribuent aux habitants, accuse Mamata Banerjee, assise dans une chaise roulante à cause d’une récente fracture au pied. Prenez leur argent si vous voulez, mais ne votez pas pour eux ! Ils cherchent à diviser les hindous et les musulmans, alors que nous les considérons comme deux bourgeons d’une même tige.» Avant de lancer à la foule son refrain combattant : «Khela hobe», «Jouons maintenant» !

Icône populaire

Dans l’assistance, Jamshree Pramanik Dhara, une enseignante drapée dans un joli sari de coton jaune et rouge, soutient cette dirigeante pour sa politique socialiste et féministe. «Mamata a construit de nombreuses routes en ciment et en pierre, ce qui est très important dans les villages pendant la mousson. Et elle donne priorité aux filles et aux femmes… cela, personne d’autre ne le fait.»

Dans les alentours de ce village de Khodambari, les habitants des classes populaires font également front commun derrière «Didi», la grande sœur. «Didi prend soin de nous de la naissance à la mort, assure Gopal Maiti, un ouvrier manutentionnaire d’une quarantaine d’années, qui affiche comme ses voisins l’autocollant du visage souriant de Mamata Banerjee sur la porte de sa maison. Mes enfants ont reçu deux vélos et ma fille 25 000 roupies (280 euros). Didi nous a aussi aidés à construire cette maison en dur.»

Mamata Banerjee est une icône au Bengale-Occidental et, de plus en plus, dans l’Inde tout entière. Cette petite femme de 55 ans, issue d’un milieu populaire, débute dans les années 70 dans les rangs du parti du Congrès des Nehru-Gandhi, de centre gauche, avant de créer en 1998 sa propre formation du Trinamool Congress (le «Congrès du terrain»). En 2011, elle réussit à déboulonner le parti communiste-marxiste qui dirige l’Etat depuis trente-quatre ans, sur son propre terrain des aides sociales. Virulente, parfois colérique, toujours imprévisible, elle use de tout le répertoire dramatique indien – elle a par exemple mené une longue grève de la faim pour protester contre l’achat de terres agricoles par l’Etat, qui devait permettre la construction d’une usine automobile du groupe Tata. Un des combats qui a propulsé Mamata Banerjee à la tête de l’Etat, où elle enterrera ce projet industriel.

Protectrice pour son clan, destructrice pour ses ennemis, cette hindoue brahmane emprunte les traits de la plus grande déesse locale, Durga, qui se transforme en Kali, la dévoreuse d’ennemis, quand elle est furieuse. Cette dirigeante charismatique, seule femme à diriger un gouvernement régional dans une Inde très patriarcale, n’est toutefois pas une déesse. Car la corruption est légion dans son parti et permet à son principal concurrent du BJP de gagner du terrain. Ceci, même auprès des opposants habituels de cette formation nationaliste hindoue : les musulmans.

Affrontements politiques sanglants

Dans le village d’Anandupur, à 150 km à l’ouest de Calcutta, des dizaines de familles musulmanes viennent de décider de donner une leçon au TMC de Mamata Banerjee. «Nous avons soutenu ce parti depuis dix ans mais nous n’avons jamais reçu les indemnisations promises après le cyclone Amphane, s’insurge Kismat Bibi. Et quand on l’a réclamé, les membres du TMC nous ont battus. Alors pourquoi devrais-je encore voter pour eux ?» Sheikh Sadir, un charpentier du village, est devenu le président local de la section du BJP pour les minorités, convaincu que la politique de Narendra Modi n’est pas anti-musulmane. «Le gouvernement de Modi nous a aidés après le cyclone… il nous a aussi assistés pour construire des maisons, énumère-t-il. Ces aides, elles ne sont pas pour les hindous ou les musulmans, elles sont pour tous !»

Les affrontements politiques sont sanglants dans cette région, et plusieurs partisans sont morts des deux côtés. Cela a poussé la commission des élections à diviser le vote en huit journées sur un mois, un district après l’autre, afin de pouvoir sécuriser chaque bureau. Mais cette campagne à rallonge, ponctuée de meetings de milliers de personnes, aurait également facilité la propagation du Covid-19 : en cinq semaines, le nombre de nouveaux cas quotidiens au Bengale-Occidental a été multiplié par 40, soit la progression la plus rapide en Inde. Et la commission des élections n’a pas voulu amender ce plan, même face à la catastrophe actuelle, ce qui a valu à ses membres d’être qualifiés de «meurtriers» par des hauts magistrats.

A 35 kilomètres de là, la ville de Medinupur est devenue un nouveau bastion du BJP. En 2019, le parti a remporté cette circonscription lors des élections parlementaires fédérales. Une vraie percée : quasiment absent de la scène politique régionale il y a dix ans, le BJP a alors raflé 18 des 42 sièges de l’Etat, grâce entre autres à la popularité de Narendra Modi et à son diptyque «développement économique et hindouisme». Debashish Das, un hindou de 31 ans, milite depuis pour le BJP à Medinupur. «Il n’y a pas de travail dans la région pour les personnes diplômées, se plaint-il, assis dans sa maison de la banlieue de la ville. Alors que Narendra Modi, lui, il a apporté un vrai développement dans le reste du pays. Il a aussi fait de l’Inde une nation puissante, avec une armée forte que nos ennemis craignent ! Et en plus, il met en place un Etat hindou, ce qui est une bonne chose.»

Lors de la campagne régionale actuelle, la principale promesse du BJP est de naturaliser les réfugiés hindous qui sont arrivés du Bangladesh voisin – application régionale de la loi controversée sur la citoyenneté, qui a enflammé le pays il y a un an. Un combat symbolique mais stratégique, estime Sanjeeb Mukherjee, chercheur en sciences politiques à Calcutta. «Les électeurs du BJP viennent généralement des classes moyennes basses et récemment urbanisées. Ils n’ont pas reçu d’éducation poussée, ont souffert de l’urbanisation galopante et de l’érosion des liens familiaux traditionnels. Ils sont donc déracinés et le BJP leur offre une identité refuge et une fierté : celle d’être hindous. Le parti canalise aussi leur colère en désignant un responsable de leur condition misérable : les musulmans», analyse-t-il.

Harmonie fragile

Dans cet Etat qui compte 27 % de musulmans, seulement 1 % des candidats du BJP appartiennent à cette religion, contre 11 % pour le TMC. Le BJP n’hésite pas à diaboliser les musulmans pour récolter les votes de la majorité hindoue. «Si vous l’élisez [Mamata Banerjee, ndlr], cette circonscription sera un mini-Pakistan et les terroristes islamistes pourront prospérer, assène Suvendu Adhikari, l’opposant de Mamata Banerjee à Nandigram. Un gouvernement du BJP, lui, rétablira l’ordre comme Modi sait le faire.»

Cette stratégie a porté ses fruits car les nationalistes hindous dirigent, seuls ou en coalition, plus de la moitié des Etats du pays, en plus du gouvernement fédéral, ce qui offre au BJP un contrôle inédit dans l’histoire moderne indienne. Le Bengale-Occidental a jusqu’à présent résisté à cette polarisation, grâce à une certaine harmonie entre musulmans et hindous, mais cet équilibre est fragile.

Sarfraj Khan, secrétaire du comité musulman de Medinupur et «protecteur» d’un mausolée soufi de la ville, observe déjà avec crainte la montée des hindouistes. «En 2013, pendant la campagne pour l’élection de Narendra Modi, le mausolée a été attaqué, raconte-t-il, assis près de la tombe du saint. Et depuis que le BJP a conquis cette circonscription fédérale, ils obligent certains musulmans à crier «Jai Shri Ram» [cri hindou en faveur du dieu Ram, ndlr]. Ma famille vit ici depuis plus de cent-cinquante ans, mais pour eux, nous sommes tous des Bangladais.»

Il fait une pause, et se projette. Son regard s’assombrit. «Dans les Etats qu’ils ont remportés, le BJP vise systématiquement les musulmans : ils répriment leurs habitudes alimentaires, posent des drapeaux hindous sur les mosquées, et criminalisent les mariages entre hindous et musulmans. Donc s’ils gagnent cette élection, conclut-il, cela sera difficile pour nous de continuer à vivre ici.»


Article publié dans Libération le 29 avril