jeudi 22 mars 2012

Des essais cliniques à hauts risques



Niranjan Pathak, 82 ans, a suivi un essai clinique à son insu
pour ses problèmes cardiaques.
Aujourd'hui, il souffre de démences qui pourraient être liées à ces tests.


Ils étaient pauvres, peu éduqués, voire illettrés, et surtout, malades. Face à eux, un docteur multi-spécialiste et expérimenté, blouse immaculée et stéthoscope autour du cou, leur offrait la délivrance, le remède salvateur : "Ce nouveau médicament vous soignera complètement. Il vient des Etats-Unis, et il est gratuit. Vous n'avez qu'à signer ici". Tels sont les mots qu'aurait utilisé le docteur Ashok Bajpai pour inciter Krishna Gehlot, asthmatique de 61 ans, à participer à un essai clinique. 
Ce vieil homme, qui n'avait pas terminé l'école primaire, a en effet signé. Deux ans après, ce "traitement américain" ne l'avait pas soigné, bien au contraire. Son état avait encore empiré : il ne pouvait plus travailler et avait beaucoup maigri.
Krishna Gehlot est mort en janvier dernier, quelques semaines seulement après avoir appris que ce médicament magique n'avait en fait jamais été approuvé en Inde.


Pradeep Gehlot, fils de Krishna Gelhot.
Son cas est loin d'être isolé : comme Krishna Gehlot, plus de 1800 patients pauvres de la ville d'Indore ont suivi, à leur insu, des essais cliniques, entre 2005 et 2010. Comme lui, des centaines de personnes peu éduquées ont pris des risques sans qu'on ne leur explique vraiment leurs conséquences, et si leur pauvreté devait les pousser à mettre leur santé en jeu : une femme à peine lettrée qui venait d'accoucher s'est vu offrir des vaccins gratuits pour son garçon de deux jours, contre une signature sur "quelques documents administratifs". Le test illégal, mené à la volée, a finalement été arrêté quand l'enfant a commencé à avoir des tâches blanches sur tout le corps...

Tels sont les débordements éthiques qui arrivent sûrement régulièrement en Inde, et qui ont été révélés dans cette ville d'Indore grâce au courage et à l'opiniâtreté de certains docteurs et avocats qui les ont dénoncés. 
Des excès quasiment naturels, peut-on dire, dans une telle configuration : vous avez d'un côté des patients peu éduqués et pauvres, qui ne peuvent payer des traitements parfois longs et compliqués. Et de l'autre, des docteurs, qui sont payés entre 700 et 1000 euros par patient recruté pour un essai clinique, et voient arriver dans leur cabinet des personnes qui leur supplient du regard de bien vouloir trouver une solution peu onéreuse et miraculeuse à leurs soucis de santé. 

L'essai clinique est a priori le produit magique pour réunir les deux mondes. 
Le seul obstacle à cette union sauvage porte un nom : l'éthique. Celle-ci devrait pousser le docteur à prendre le temps d'expliquer les conséquences néfastes envisagées dans ce traitement, avec le risque de voir la personne refuser d'y participer. Quelques minutes de réflexion, concrétisées par ce qu'on appelle "le formulaire de consentement éclairé".

Or ces médecins d'Indore ont allégrement sauté cet obstacle, et fait ainsi voler l'éthique en éclat. Des personnes illettrées signaient ce consentement de leur pouce sans la présence d'aucun témoin, ce qui est pourtant obligatoire si on veut que cette personne comprenne le document. D'autres consentements n'étaient pas remplis correctement, ou, tout simplement, on ne leur présentait qu'une seule page, au lieu des 17 obligatoires, bien plus détaillées.
 
Finalement, 33 personnes sont mortes pendant ou après ces tests cliniques. 81 ont subi des effets indésirables graves, dont des enfants et des handicapés mentaux.

Un collaborateur de l'ONG Swastha Adhikar Manch,
examine les documents des essais cliniques.
Ce problème est général en Inde, et ne fait qu'empirer : non seulement les médecins indiens ne sont pas formés à l'éthique, et ont du mal à juger réellement quand un consentement a été bien pris, mais personne ne vient inspecter sur le terrain que ces essais sont bien faits. Le seul organe local qui supervise ces tests est le comité d'éthique. Or, à Indore, plusieurs médecins siégeaient eux-mêmes dans ce comité qui était censé juger leur travail !

Ce qui est gênant pour nous, c'est que la grande majorité de ces essais cliniques sont faits pour les grands laboratoires occidentaux et japonais, comme Pfizer, Novartis et Sanofi, qui délocalisent de manière croissante ces tests en Inde : ils sont deux fois moins chers, et bien plus rapides à réaliser. On aura compris pourquoi.

Pour suivre l'enquête que j'ai réalisée et comprendre comment peut se diluer l'éthique chez les plus grands médecins, retrouvez ici mon documentaire sur RFI. Et, en résumé alléchant, l'article qui y est lié.


Je tiens ici à remercier Amulya Nidhi, avocat infatigable et dévoué de l'ONG Swastha Adhikar Manch, qui s'est battu pour mettre au jour les centaines de documents qui ont prouvé ces irrégularités. Et sans qui cette enquête n'aurait pas été aussi aboutie.


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