jeudi 30 mai 2013

Bangladesh : Itinéraire d'un printemps anti-islamistes

"Bangla Bangla Bangla ... JAAAAAAI BANGLA". Ce vendredi soir d'avril, comme tous les week-ends depuis le début du mois de février, des milliers de personnes ont envahi la place Shahbag, devenue le coeur de la révolte anti-islamiste du Bangladesh. Sur ce rond-point, extension naturelle du campus de la faculté de Dacca et artère historique de la capitale, la jeunesse du pays entonne, crie à se casser la voix, des chants empruntés à leurs parents. Ce sont les chants de la révolution de l'Indépendance de 1971, une guerre qui a permis à cette terre de se libérer de la tutelle d'un Pakistan islamiste et de faire naître ce nouveau pays, le Bangladesh, sur des bases laïques. 

Les jeunes de Shahbag défendent leur place forte,
face aux incursions de groupes d'islamistes. 
Ces manifestants sont professeurs, ingénieurs ou docteurs, dans la vingtaine révoltée, et ils se battent contre un ennemi bien identifié, l'islamisme, et son représentant le plus puissant et dangereux à leurs yeux: le Jamaat-e-Islami. Sur cette place Shahbag, ils veulent croire qu'ils sont les acteurs d'un "printemps bangladais".  

Cette lutte d'aujourd'hui trouve ses racines dans un combat inachevé depuis l'indépendance de cette terre, ex-Pakistan oriental devenu Bangladesh à l'issue d'une guerre cruelle et sanglante. Islamabad réprima alors ce mouvement en lançant ses troupes massacrer sans merci les civils nationalistes bangladais : intellectuels, étudiants ou simples manifestants, des dizaines de milliers de personnes ont été massacrés, violés, abattus. L'armée pakistanaise s'est appuyée pour cela sur des milices islamistes de razakars ( "volontaires" en ourdou), dont la plupart se trouvaient dans l'organisation du Jamaat-e-Islami. Selon les estimations de chercheurs, environ 300 000 personnes auraient perdu la vie lors de ce conflit.
Place Shahbag, les jeunes font voler
le drapeau du Bangladesh.

Mais quarante ans après, cette plaie saigne toujours dans le coeur des nationalistes bangladais et de leurs enfants. Car les procès de ces criminels de guerre, initiés au lendemain de l'indépendance, ont été avortés par les militaires qui ont rapidement pris le pouvoir à Dacca, laissant, jusqu'à récemment, ces massacres impunis. 

En 2008, le parti des "freedom fighters", l'Awami League, a ainsi créé un nouveau tribunal spécial pour juger ces atrocités. Onze personnes ont été inculpées, dont neuf font encore partie de la direction du Jamaat-e-Islami, devenu le principal parti islamiste du Bangladesh. 

Depuis fin janvier dernier, les premières sentences sont tombées : quatre cadres de ce parti ont été condamnés à mort pour crimes contre l'humanité ou génocides, et un autre à la prison à vie. Ces sentences ont fait ressurgir les divisions profondes qui perdurent entre islamistes et laïcs, dans l'un des derniers pays à majorité musulmane de la région à ne pas être devenu une république islamique. 

Je vous propose de suivre ce combat historique violent, par les mots et les affrontements, à travers ce reportage dans les rues de Dacca, réalisé sous pseudonyme au moment où les deux camps étaient sortis dans une impressionnante démonstration de force. 

Vous trouverez également ici une version écrite de ce reportage. 


Le 6 avril, près de 500 000 jeunes islamistes des madrasas
ont défilé dans les rues de Dacca,
à l'appel du Jamaat-e-Islami et de son allié, le Hejazat-e-Islam. 


PS : Malheureusement, le mouvement de la place Shahbag, faute d'itinéraire politique clair, est progressivement en train de s'éteindre. Les cyniques diront qu'il n'était qu'une gentille révolte spontanée de jeunes, télé-guidés par le parti au pouvoir pour affaiblir les islamistes. Les optimistes y verront un sursaut salutaire d'une nouvelle génération qui veut croire en un Bangladesh tolérant. 


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