Le
25 avril dernier, le Népal était ravagé par un tremblement de
terre d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter, le
pire qu’ait connu le pays depuis 80 ans. Il a été suivi par
une autre secousse d’une intensité similaire, le 12 mai.
Selon l’ONU, 8 891 personnes sont décédées et
605 000 maisons sont détruites. Six mois après, la
reconstruction s’avère difficile pour ce pays pauvre, au relief
escarpé. Ceux qui ont en les moyens ne savent pas comment rebâtir
leurs maisons pour qu’elles soient plus résistantes. Une équipe
d’ingénieurs spécialisés a donc commencé à les former. Elle
leur enseigne des techniques efficaces et utilisées par leurs
ancêtres pour résister aux humeurs de la Terre. Reportage.
La vieille ville de Charikot, encastrée dans la vallée de Dolakha, semble avoir été frappée par une pluie de météorites. Les maisons traditionnelles en pierre, de deux ou trois étages, sont éventrées sur leurs flancs. Leur toit est ouvert aux vents himalayens. Les habitants errent dans ses rues aux lignes imprécises, comme des rescapés d’une attaque furtive. C’est à quelques kilomètres d’ici que se trouve l’épicentre du deuxième séisme, qui a secoué la région le 12 mai avec une magnitude de 7,3, et a abattu les bâtiments déjà fragilisés lors du premier tremblement du 25 avril.
La belle bâtisse de deux étages de Ramchandra Srestha avait bien tenu le premier choc. Ingénieur à la retraite, celui-ci avait pris son temps pour revenir de Katmandou, la capitale, située à 130 kilomètres vers l’ouest et à cinq heures de route. Mais ses espoirs d’y revivre se sont brisés devant ses yeux, ce 12 mai, vers 13 heures.
« Nous étions en train de préparer le thé chez nos voisins quand le sol a tremblé, se souvient-il, le visage crispé. La petite maison d’â côté, où une dame vendait des boissons, s’est écroulée. Et nous avons vu de la fumée s’élever dans toute la vallée. C’était les maisons en pierre et boue qui tombaient ». La sienne est aujourd’hui lézardée de fissures et un énorme trou est apparu sous la toiture. Dans ce seul district, 50 000 maisons se sont effondrées, dont quasiment toutes celles des campagnes.
Trop cher et difficile d’utiliser du béton
Aujourd’hui, Ramchandra Shrestha habite avec sa femme dans une sorte de cabane de 9 m2, construite avec des planches de bois légères et couvertes de plaques en tôle ondulées. Ces abris de fortune, mal isolés pour l’hiver qui approche, ont poussé dans toutes les provinces sinistrées du nord de Katmandou. Ramchandra Shrestha aimerait pouvoir rebâtir rapidement sa maison. Mais il attend que la mairie édicte des règles précises de reconstruction. Dans cette vallée ravagée, tous se demandent comment reconstruire de manière plus solide. Pour la majorité, il est trop cher et difficile d’utiliser du béton. Il y a peu de routes praticables vers ces villages et il faut donc monter les sacs de ciment, de sable et gravats à dos d’homme.
Pour l’ingénieur Bijay Upadhyay, de la Société nationale pour les techniques sismiques(NSET), cette énigme a une réponse simple : il faut revenir aux techniques traditionnelles. «Le béton n’assurera pas la fiabilité des constructions, car beaucoup de bâtiments en béton se sont également effondrés, explique calmement ce professionnel d’une cinquantaine d’années. Ce qui compte n’est donc pas le matériau, mais la méthode ». Il a initié, dans ce district de Dolakha, des formations de maçons pour leur apprendre comment leurs ancêtres se protégeaient des secousses. Des techniques abandonnées par des générations qui avaient oublié ce danger : le précédent important séisme remontait à 1934.
Quelque 350 maçons formés et sensibilisés à des techniques traditionnelles
« Il faut d’abord tester le sol pour s'assurer qu’il est assez compact, explique Bijay Upadhyay. Le bâtiment doit ensuite avoir des petites fenêtres. Les portes et les fenêtres doivent être éloignées des angles et compter une double armature, l’une sur le mur extérieur et l’autre sur l’intérieur. Enfin, tout le bâtiment doit être resserré par des troncs de bois attachés les uns aux autres pour renfermer la structure. Ces différents éléments créent un effet de boite. Ainsi, si vous le faites trembler, il va onduler comme un arbre, mais ne pas s’effondrer ».
Le NSET a formé 350 maçons dans le pays, à raison de cours d’une semaine, depuis les séismes et le lancement de ce programme, soutenu par l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID). La mairie, qui travaille en partenariat avec eux, assure qu’elle suivra la reconstruction en inspectant surtout les premières étapes : la pose des fondations et des ouvertures. Après quoi, elle s’en remettra aux propriétaires, qu’elle sensibilisera à ces techniques.
D’autres organisations ont initié des apprentissages express dans le pays, mais il n’est pas sûr que cela suffise face à un manque général d’expertise : « Notre code national de construction est calqué sur l’anglais et il compte très peu d’éléments sur les risques sismiques », déplore Bijay Upadhyay. De plus, le pays manque cruellement de maçons disposant d’une formation initiale. Le gouvernement a annoncé vouloir en entraîner 50 000, mais le lancement tarde par manque d’impulsion.
« Si un prochain séisme survient, tout retombera »
L’autorité de reconstruction, créée fin juin pour gérer les 4,1 milliards d’euros promis par les donateurs internationaux, compte un directeur, mais pas de structure opérationnelle. Les priorités politiques ont changé : le 20 septembre dernier, les parlementaires ont en effet promulgué une nouvelle constitution, après sept ans de discussions, donnant naissance à une autre crise. Les populations des plaines, longtemps marginalisées, ont contesté la division des nouveaux Etats fédérés. Depuis plus de deux mois, elles mènent une grève qui bloque une partie de l’approvisionnement national en essence.
Le gouvernement tarde à négocier avec ces populations et cette impasse se transforme en une dangereuse paralysie dans le chantier de reconstruction. « Les donateurs commencent à faire du bruit, alerte Renaud Meyer, directeur de l’agence des Nations unies pour le développement au Népal, car l’argent qu’ils ont promis n’est pas dépensé. Ils se demandent donc s’ils ont bien fait de donner tout cet argent au gouvernement au lieu de le répartir. »
Cet immobilisme pourrait avoir des conséquences sérieuses, prévient-il : « La mobilisation de ces bailleurs de fonds risque de s’affaiblir et d’autres crises internationales vont nécessiter ces fonds. Les promesses qu’ils ont faites ne vont donc pas forcément se matérialiser par des financements concrets et nous n’aurons alors plus les moyens de donner accès aux populations aux technologies fiables de reconstruction. Beaucoup de ces sinistrés vont donc reconstruire comme ils l’ont fait auparavant et si un prochain séisme survient, tout retombera. Et on refera un bond en arrière comme on a fait en avril et en mai. »
Un article publié le 19 octobre sur le site de RFI
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