samedi 23 janvier 2021

Covid-19: en Inde, la vaccination en petite forme

Les autorités, qui entendent vacciner 300 millions de personnes en six mois, font face à la méfiance de certains y compris parmi le personnel médical, alors que le vaccin local a été validé dans l'urgence. 

La jeune Vandana sort de l’énorme campus du centre hospitalier universitaire de New Delhi (AIIMS), badge accroché au cou et téléphone à la main, dans l’attente d’un taxi. Cette assistante de recherche en médecine travaille à côté du centre Covid de cet hôpital et fait donc partie des premières personnes à pouvoir être vaccinées en Inde.

Elle se passerait toutefois de cette faveur. «Je ne suis pas sûre de vouloir être vaccinée, dit-elle. Nous n’avons pas assez de données sur les essais cliniques.» Son collègue laborantin Deepak a une mine aussi dubitative, mais il a une bonne parade : «J’ai eu le Covid en novembre, et j’ai encore assez d’anti-corps, donc je n’ai pas besoin de me faire vacciner avant quelques mois.»

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Leur prudence est compréhensible : comme AIIMS, tous les hôpitaux publics fédéraux de la capitale utilisent uniquement le Covaxin, le vaccin développé en Inde par le laboratoire national Bharat Biotech, en partenariat avec le Conseil indien de recherche médicale. Il a été approuvé le 3 janvier en urgence, alors que la phase 3 des essais cliniques, censés déterminer son efficacité, n’était pas terminée. La participation s’en ressent : à New Delhi, moins de la moitié des professionnels appelés se sont fait vacciner, ce qui peut aussi s’expliquer par des problèmes logistiques, mais les autorités sont inquiètes.

10 millions de cas, 152 000 décès

En nombre absolu, l’Inde est le deuxième pays (après les Etats-Unis) le plus touché par le Covid-19, avec plus de 10 millions de cas et 152 000 décès. Les autorités ont lancé le 16 janvier la plus grande campagne de vaccination du monde contre la pandémie, pour toute sa population de plus de 1,35 milliard de personnes. La Chine est plus peuplée mais n’a pas encore annoncé vouloir vacciner tout le monde.

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C’est également la campagne la plus rapide et intense : l’Inde aimerait inoculer 300 millions de résidents dans les six premiers mois, soit près de deux millions de personnes par jour en rythme de croisière. Les premiers vaccinés seront logiquement les dix millions de travailleurs de santé.

Ce sont sont aussi les plus éduquées aux procédures médicales et ils l’ont fait savoir : dès le premier jour, l’association des médecins résidents de l’hôpital public Ram Manohar Lohia, à New Delhi, ont publié une lettre affirmant qu’ils étaient «un peu inquiets du manque de données sur les essais cliniques […] et qu’ (ils) demand (aient) à recevoir l’autre vaccin Covishield». Une prise de position rare et risquée pour des fonctionnaires, surtout concernant une campagne aussi politique.

«Plus de transparence»

Le Covishield, développé par le laboratoire suédo-britannique AstraZeneca et l’université d’Oxford, est le deuxième vaccin déployé en Inde en ce début de campagne, mais il est surtout distribué dans les hôpitaux privés. Ses essais cliniques ont été menés jusqu’au bout à l’étranger, démontrant une efficacité de 70%, mais là aussi, il a été approuvé, en Inde, avant la fin des tests d’efficacité spécifiques sur sa population.

Pour rajouter à l’angoisse, le gouvernement n’a pas publié les données scientifiques des essais déjà menés dans le pays. «Ces procédures d’autorisation sont traditionnellement opaques en Inde, mais on s’attendait à plus de transparence pour ces vaccins contre le Covid, afin de rassurer la population, analyse Amar Jesani, rédacteur en chef du Journal of Medical Ethics. Il semble que l’autorisation a été donnée au Covaxin seulement car c’est un vaccin indien. Pour des raisons politiques, donc, et non scientifiques. Et cela peut ressembler à ce qu’ont fait les Russes et les Chinois», qui ont déployé leur vaccin dès la fin de la phase 2.

Indemnisations

Le gouvernement cherche maintenant à désamorcer les craintes. Il a créé dans les hôpitaux des espaces ludiques où les médecins vaccinés peuvent se prendre en photos pour inciter leurs collègues à suivre leur exemple. «Je suis fier d’avoir reçu ce vaccin indien et ne ressens aucun effet secondaire», clame Dhavan Dwivedi, un infirmier de 35 ans d’AIIMS qui vient de recevoir une dose du Covaxin et prévoit de motiver ses collègues.

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Le ministre de la Santé, le docteur Harsh Vardhan, réitère à Libération que les deux vaccins «ont fait l’objet d’un nombre suffisant d’examens scientifiques» et qu’ils sont tous deux «sûrs, efficaces et qu’ils entraînent une réponse immunogénique suffisante».

Bharat Biotech promet d’indemniser les personnes qui souffriraient d’effets secondaires graves. 454 000 personnes ont été vaccinées en Inde jusqu’à mardi soir, dont 580 (0,0012%) ont eu des réactions sévères requérant hospitalisation. Deux personnes vaccinées sont mortes, pour des raisons qui ne seraient pas liées au vaccin, selon le gouvernement. Les cas de Covid-19, quant à eux, sont parmi les plus bas depuis huit mois, avec environ 12 000 supplémentaires par jour.


Cet article a été publié par Libération le 22 janvier 2021

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