Le brouillard hivernal s’est installé sur New Delhi et emprisonne les gaz d’échappement automobiles. Seize millions d’habitants suffoquent dans cette ville à la circulation anarchique, où Barack Obama a entamé dimanche sa deuxième visite d’Etat. Une visite au cours de laquelle les questions climatiques seront au centre des débats, à moins d’un an de la grande conférence de Paris. Il faut dire que New Delhi est devenue la ville la plus polluée du monde selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Son recensement comparant 1 600 métropoles y a relevé les taux les plus élevés de particules fines de la planète, de 2,5 micromètres entre 2008 et 2012. La capitale indienne avait pourtant fait des efforts pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES)à la veille des Jeux du Commonwealth de 2010 : délocalisation des usines, reconversion des centrales d’énergie et des motos-taxis au gaz naturel… Mais l’élan écologique n’a pas duré, et l’explosion du nombre de véhicules - environ 1 400 nouvelles immatriculations par jour - a fini le travail de sape.
Au niveau national, la situation n’est guère plus reluisante : 60% de l’électricité indienne provient du charbon, dont le pays est le troisième consommateur mondial, et les renouvelables ne représentent que 12% du mix énergétique. La combustion des énergies fossiles représente la principale source d’émission de GES en Inde, troisième émetteur mondial de CO2. Lors de la dernière conférence de l’ONU sur le climat, en décembre à Lima, les puissances occidentales ont exercé une forte pression sur les Indiens afin qu’ils engagent un ambitieux plan de réduction. Les deux principaux pollueurs, la Chine et les Etats-Unis, avaient pris les devants en novembre : les Américains doubleront leurs objectifs pour baisser, d’ici à 2025, leurs émissions de 26% par rapport au niveau de 2005, et les Chinois ont promis de parvenir à leur pic autour de 2030 avec «l’intention d’y arriver plus tôt», selon Washington.
Défi. Barack Obama va maintenant essayer de convaincre le Premier ministre indien, Narendra Modi, à s’engager dans le même sens. Les dirigeants cherchent d’abord à concilier deux ambitions a priori contradictoires : apparaître comme une puissance internationale majeure, responsable en termes d’environnement, tout en faisant face à un défi de développement colossal. Si 25% de la population - plus de 300 millions de personnes - n’est toujours pas raccordée au réseau électrique, le gouvernement s’est engagé à y mettre fin en moins de dix ans. Le programme nécessite de tripler la production électrique du pays ! Malgré tout, chercheurs et experts associatifs restent optimistes. «Il y a un réel effort de diversification énergétique de la part du gouvernement», assure Abhishek Pratap, qui suit le dossier pour Greenpeace Inde et est habituellement très critique envers la politique énergétique nationale. «Il s’est engagé à augmenter la production solaire de 165 GW d’ici à 2022, détaille-t-il. Si c’est tenu, 25% de l’électricité sera produite par des énergies renouvelables, et plus de 50% grâce au charbon.» Cette confiance vient en partie du fait que le Premier ministre a été le pionnier du solaire quand il était à la tête de l’Etat du Gujarat, qui abrite depuis 2012 le plus grand parc photovoltaïque du monde (600 MW). Une réussite qui a créé des émules : «Seize Etats sur les vingt-neuf que compte le pays ont adopté des mesures pour favoriser l’utilisation de panneaux solaires sur les toits», détaille Chandra Bhushan, chercheur au Centre for Science and Environment (CSE) de New Delhi.
Boom. Tous les Etats sont attirés par la chute vertigineuse - 60% en trois ans - du prix de l’énergie solaire. Il est aujourd’hui au même niveau que l’éolien, et le gouvernement prévoit d’atteindre la parité avec les énergies conventionnelles d’ici à 2017. S’il ne devrait pas s’engager sur des objectifs chiffrés lors de ses entrevues avec Barack Obama, Narendra Modi pourrait profiter de l’occasion pour annoncer des investissements américains dans ce secteur en plein boom des énergies renouvelables.
Selon certains experts, l’Inde n’aurait pourtant aucune obligation de faire des efforts pour réduire ses GES. Rapporté à sa population, le pays émet bien moins de CO2qu’il ne le devrait, lance ironiquement la directrice du CSE pour dénoncer l’irresponsabilité de l’accord sino-américain. «L’Inde émet dix fois moins de carbone par habitant que les Etats-Unis, écrit Sunita Narain dans le magazine Down to Earth. Selon l’accord qu’ils ont conclu, les Etats-Unis et la Chine atteindront, en 2030, entre 12 et 14 tonnes par personne par année, alors que la planète ne peut absorber que 2 tonnes. Si l’Inde ne fait rien, le pays passera de 1,8 à 4 tonnes - soit bien loin derrière les deux autres.» Malgré le développement accéléré du pays, il y a au final peu de chances que les Indiens tombent dans les excès américains, rassure Prodipto Ghosh, membre du Teri, un éminent centre de recherches sur l’environnement basé à New Delhi : «Une grande partie de la classe moyenne est végétarienne, fait très attention à la consommation d’essence de sa voiture et ne laisse pas les climatisations allumées sans raison.» Selon Chandra Bhushan, du CSE, l’Inde doit utiliser cette tradition de frugalité pour «émerger à Paris comme un vrai leader mondial en termes d’environnement».
Article paru dans Libération, le 26 janvier 2015.
Et pour aller plus loin sur cette question de pollution, vous pouvez également écouter mon reportage sur l'installation de purificateurs dans la capitale et particulièrement à l'école française.
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