jeudi 7 mai 2015

L'exode des sinistrés

Après le pire séisme qu'ait connu le Népal en 81 ans, les habitants de la capitale, apeurés et traumatisés, fuient. En quatre jours, entre 10 et 20% de la population de Katmandou part en exode, principalement vers le sud épargné. 




Bimala resserre la ceinture de son manteau gris et soupire. La petite silhouette de cette femme de 25 ans se perd dans la marée anarchique de bus et de camions qui circulent à l’angle de la grande avenue qui descend de Kalanki, l’une des principales gares routières qui sort de Katmandou. Son fils de 8 ans, la capuche de son survêtement bleu sur la tête, se colle contre elle. Tout autour, des familles passent avec leurs gros sacs, des hommes crient avant de monter sur les toits des bus et des étudiants sautent dans un camion qui accepte de les mener vers des terrains moins agités.

La capitale népalaise vit un exode qui ne fait que s’accroître depuis le tremblement de terre de samedi. «Nous avons trop peur de retourner habiter dans notre appartement à cause de toutes les répliques, donc nous dormons dehors, sous une toile trouée», raconte Bimala. «Cela est devenu trop difficile de vivre ici : le prix des aliments n’arrête pas d’augmenter et l’eau commence à manquer. Nous avons peur des maladies qui peuvent se propager avec de l’eau contaminée»,poursuit cette jeune mère, dont le mari vit depuis cinq ans en Malaisie. Et d’ajouter : «Les gens disent que la terre va bientôt s’ouvrir à force de se secouer, et qu’un volcan va en sortir.»
Affrontement. Pour le quatrième jour consécutif, elle vient à cette gare routière. A chaque fois, cette délicate femme a été repoussée par la horde de passagers cherchant à quitter au plus vite Katmandou. «Dans une demi-heure, je retenterai», lâche-t-elle, avec un calme déconcertant. Elle est cette fois accompagnée de trois jeunes cousins. La plupart de ces migrants partent rejoindre des proches ou des amis au sud de Katmandou, loin des montagnes et des tremblements causés par la collision des deux plaques tectoniques étant à l’origine de la chaîne de l’Himalaya.

Cet empressement à fuir la capitale maudite a failli tourner à l’affrontement mercredi matin. Le gouvernement avait annoncé que des bus allaient emmener gratuitement les sinistrés vers la province. Une queue de plus d’un kilomètre s’était donc formée, dès l’aube, devant le ministère des Transports, à deux pas du Parlement. Les autorités, qui ne possèdent aucun bus, avaient réussi à convaincre les écoles de la ville d’en fournir, mais seulement deux-cents sont arrivés, pour plus de dix mille de personnes - bien insuffisant.
Frustrées et exténuées, plusieurs personnes ont commencé à se battre en fin de matinée et la police anti-émeute a dû être déployée pour contenir la foule. Le directeur de l’administration du ministère avoue faire ce qu’il peut. «Depuis [mardi], nous avons demandé à l’association nationale d’autobus, qui compte des dizaines de milliers de véhicules, d’en mettre une partie à notre disposition, explique Basanta Adhikari. Nous leur avons dit que nous paierons pour ces trajets, mais ils n’ont pas encore répondu.» Il avoue toutefois, avec une certaine franchise, ne pas être étonné de ce chaos.
«Quand j’étais chef de district, nous avons reçu des instructions pour nous préparer aux principales catastrophes naturelles, raconte-t-il. En priorité se trouvaient les inondations, puis les glissements de terrain et les incendies. Les séismes n’étaient qu’en cinquième position. Personne n’était donc prêt à faire face à un tel exode en si peu de temps.» Selon Basanta Adhikari, 300 000 personnes ont déjà quitté la ville en quatre jours, soit 10% de la population de la capitale. «Nous gérons des déplacements de population similaires lors du festival de Dashain [une fête hindoue, ndlr], mais nous avons alors plusieurs semaines pour le préparer. Là, c’est arrivé d’un coup», soupire-t-il.

Banlieue. Et puis il y a ceux qui voyagent par désespoir, comme Suyal. Cet homme aux yeux rougis a le regard perdu vers l’horizon. Il se tient debout, fragile et sans bagage, le long de l’avenue de la gare chaotique de Kalanti. Ce fermier de Chhatre Deurali, une localité située à une demi-heure de bus et une heure de marche de Katmandou, n’a plus rien. Sa maison s’est écroulée après le séisme, ses quelques biens sont détruits. Il est venu à la capitale pour rendre visite à sa mère, blessée lors du tremblement et essaie maintenant de rentrer chez lui. Dans son village, toutes les maisons sont tombées, la nourriture et l’eau commencent à manquer et personne, du gouvernement ou d’associations, n’est venu aider ces sinistrés de la grande banlieue de la capitale. Suyal, lui, n’a pas peur des répliques. «J’ai déjà tout perdu. Que voulez-vous qu’il m’arrive maintenant ?» lance-t-il avant de s’engouffrer, sans force, dans la marée de voyageurs



Paru dans Libération le 29 avril 2015
  

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