mardi 5 mai 2015

Népal : La population se mobilise, malgré l'Etat

Dans les premiers jours après le séisme, une partie de la jeune classe moyenne éduquée, sous le choc mais généralement épargnée, rassemble ses forces pour venir en aide aux plus démunis. 


«Prends des médicaments, des bandes et de la bétadine et rassemble tout dans un sac», lui ont dit ses amis. Chandra vient d’arriver avec un carton rempli d’équipements de première nécessité, qu’il a rapportés de chez lui. Ce guide de haute montagne trapu, à la longue chevelure poivre et sel, a revêtu lundi les vêtements de secouriste, comme des dizaines d’autres personnes arrivées mardi matin dans le Yellow House. Cet hôtel au grand jardin et à l’agréable préau s’est transformé en un centre de coordination pour un groupe d’une trentaine d’entrepreneurs, artistes, humanitaires, communicants ou informaticiens qui veulent remplacer l’apathie du gouvernement par une vraie mobilisation citoyenne. Equipés de leurs jeeps et motos, ils ont déjà été dans une zone située à une quarantaine de kilomètres de Katmandou pour repérer les besoins, qui sont immenses. «Les maisons étaient détruites, les survivants vivaient sur des champs et personne n’a encore été les voir, raconte le jeune Jay, occupé à trier les sacs. Partout où nous allons, nous sommes les premiers secouristes qu’ils voient.»


Poète. Le gouvernement népalais a brillé ces derniers jours par sa lenteur et son impuissance à faire face à la catastrophe humanitaire qui a frappé plus de 8 millions de personnes, soit un Népalais sur quatre. «Les élus des pays voisins ont été plus rapides et plus impliqués que les nôtres, s’énerve Nayan, un poète et traducteur à la tête de ce mouvement. Nous savons qu’il a peu de moyens, mais il n’a même pas motivé les fonctionnaires, l’armée ou les citoyens à se mobiliser. Et cela est coupable.» De fait, les plus visibles dans les décombres sont les secouristes indiens, arrivés quelques heures après le séisme, samedi - à un moment où le Premier ministre népalais était encore en Indonésie.


Les citoyens du Yellow House savent qu’ils sont bien plus limités que les humanitaires professionnels et peuvent seulement fournir les premiers soins, mais ils ont également l’avantage de la rapidité, quand les grandes ONG mettent souvent des jours avant de pouvoir partir sur le terrain. Une extension dynamique entre les bonnes volontés individuelles et les actions associatives, dans un monde qui rend cela de plus en plus facile : ils doivent ainsi mettre ce matin en ligne un site internet qui rassemble les informations d’actions et de zones déjà couvertes par d’autres organisations et les besoins identifiés sur toutes les plateformes pour pouvoir déployer leurs volontaires. L’avantage de ces mobilisés de classe moyenne est qu’ils ont accès à la diaspora et aux communautés étrangères. «J’ai déjà reçu des dizaines de demandes de la part de mes amis aux Etats-Unis qui cherchent à faire des dons, relate Nayan, qui a fait ses études supérieures dans ce pays. Nous sommes donc en train de mettre en place un système de dons par Western Union et nous publierons les informations sur l’utilisation de ces fonds. Ce pays est déjà assez touché par la corruption, il n’a pas besoin de nous pour cela.»





D’autres initiatives similaires sont nées ces derniers jours, comme le site Himalayandisaster.org, qui regroupe besoins et offres d’aide, ou la page Facebook Nepal Earthquake Relief Volunteer Coordination, appréciée par 4 000 personnes et qui liste un grand nombre de véhicules disponibles pour transporter des équipements de secours, relaie les besoins de certaines communautés et met en contact bénévoles et victimes. Quelque 23 000 personnes ont posté un commentaire ou une demande sur cette page en deux jours, ce qui a montré sa limite, car il a été impossible de gérer cet afflux.
Cellule. Au Yellow House, les initiateurs de ces différents mouvements se sont retrouvés afin d’apprendre de ces erreurs et d’éviter les doublons. L’objectif est de centraliser l’information concernant tout ce travail sur une plateforme, afin de mettre en valeur ces initiatives individuelles sans les limiter. La prochaine étape est d’approcher la chambre de commerce népalaise, qui a monté une cellule de secours. La seule option qui a rapidement été écartée est de s’appuyer sur les services publics, trop compliqués, trop lents. Quand le gouvernement fait défaut, les citoyens ne mettent pas longtemps à s’en rendre compte, et à dénoncer cette passivité par leur mobilisation.

Paru dans Libération le 28 avril 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire