lundi 4 mai 2015

Séisme au Népal : Dans l'attente des morts


Après une semaine de reportages à Katmandou et dans ses environs, je publie à partir d'aujourd'hui ma série d'articles parus dans Libération
Aujourd'hui, la recherche désespérée des disparus sous les décombres. 


Niraj Gamal est immobile, accroupi, les yeux fixés sur les ruines de son commerce de patisserie. Il se situait au rez-de-chaussée de cet immeuble de six étages, à présent réduit à un vulgaire tas de béton, le long de la rivière de XXX, à Dhalku, dans le cœur commercial de l'ouest de Katmandu. Ce samedi 25 avril devait être l'un des plus beaux jours de sa vie : sa femme allait accoucher de leur troisième enfant. Le couple est donc parti en urgence à l'hôpital, laissant dans le magasin leurs deux autres enfants de 12 et 14 ans. Cette séparation fut la dernière. La terre trembla et engloutit Saroj et Sharmilla.  
Niraj et sa femme vivent maintenant dans la rue qui s'étire après le pont de Sobhavagbati. Et l'homme merwar (une éthnie ) de 36 ans reste posté près des décombres à regarder les équipes de secouristes indiens creuser dans le béton. Entre les différents niveaux, posés les uns sur les autres, apparaissent des livres de mathématiques, des chaussures ou des peluches, ainsi qu'une horloge, arrêtée à midi moins deux.  

Plus de 250 personnes vivaient dans ce bâtiment, et une cinquantaine se trouvaient à l’intérieur ce samedi matin, selon les survivants. Trois jours après l’effondrement, seulement quatre résidents ont été retrouvés vivants. Quatre autres corps sans vie, ressortis pendant la journée, sont allongés sur le pont. Mais aucune nouvelle des enfants de Niraj. «Je ne crois plus qu’ils sont vivants, avoue-t-il, mais je veux voir leur corps. Je dois savoir.» Lui et sa femme ont déjà commencé à jeûner, comme le veut la tradition hindoue du deuil. 

Les équipes indiennes de la protection civile en charge de répondre aux catastrophes furent les premières à arriver au Népal, quelques heures après le plus grave tremblement de terre qu’ait connu le pays depuis 1934. Lundi soir, 724 d’entre eux étaient déployés dans la ville, munis d’équipements lourds de déblayage pour percer dans les décombres. Autour de l’ancien immeuble de Niraj, les autres bâtiments ont résisté à la secousse de 7,8 sur l’échelle de Richter. Le pâtissier n’est pas étonné. «A chaque fois qu’un camion-citerne passait dans la rue, les murs tremblaient, se souvient Niraj. Nous avions prévu de déménager le commerce le mois prochain.» Le responsable des sauveteurs indiens confirme : «La construction était sûrement de faible qualité.» «Et le sol est mouvant car il se trouve au bord de la rivière», analyse O.P. Singh, monté sur les ruines.


Crémations. De l’autre côté du pont, une fumée noire enveloppe le temple hindou d’Endrayani, dont le toit est à moitié affaissé. Les crémations s’enchaînent dans son enceinte. Quatre bûchers calcinés fument encore, deux autres ont été préparés à côté. 
Soudain, des hommes traversent la foule, et portent rapidement un corps recouvert de voiles blancs et orange sur les bûches. Des pleurs et des cris de femmes percent le crépuscule de Katmandou. Un garçon d’une vingtaine d’années entame alors le tour rituel de la dépouille, une bougie à la main, avant de s’en approcher pour l’enflammer et libérer l’esprit de sa mère défunte. Ses cendres seront ensuite dispersées dans la rivière adjacente aux reflets noirs. Des dizaines de personnes regardent ainsi les âmes s’échapper, par curiosité ou par solidarité envers ceux qui n’ont pas survécu au désastre. 

La crainte n’a cependant pas disparu. Une vingtaine de répliques, dont une de 6,7 dimanche, ont rappelé aux survivants la précarité de la situation. Et une centaine de milliers de personnes préfèrent dormir dans la rue. A quelques mètres du temple, le long de la rivière, le trottoir s’est transformé en camp de fortune. Des centaines de familles habitent ici depuis samedi, recouvertes de toiles et bâches multicolores.
«Chance». La famille Tamang, des marchands de pashminas, prépare le dîner grâce à un simple réchaud à gaz. Les hommes jouent aux cartes, les enfants sourient, légèrement ennuyés. Les vingt-cinq personnes de la famille, âgée de 10 mois à 72 ans, vivent ainsi en face de leur immeuble, où ils vont rapidement pendant la journée chercher des aliments ou des vêtements. «C’est une chance que ce séisme soit arrivé au printemps», confie la jeune Somgu. Les nuits sont fraîches, mais rien à voir avec l’hiver himalayen. Une chance également que la terre ait tremblé un samedi matin, quand beaucoup de Népalais étaient sortis et les enfants hors des écoles. Lundi, les habitants de Katmandou n’ont pas ressenti d’importantes secousses. Beaucoup essaieront de rentrer chez eux.

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