mardi 16 février 2016

Le projet EPR d'Areva difficile à vendre aux Indiens

Lors de sa visite d'Etat en Inde, le Président François Hollande a partagé lundi 25 janvier son «espoir de conclure d’ici un an»les négociations technico-commerciales concernant la construction de six réacteurs nucléaires EPR (réacteur pressurisé européen) dans la localité de Jaitapur, située à 300 kilomètres au sud de Bombay (ouest). L’accord de principe avait été signé par les deux gouvernements en 2010 déjà. Il a pour but de créer la plus puissante centrale atomique du monde, d’une capacité de 9 900 Mw.
Mais le projet s’est enlisé depuis face aux nombreux obstacles : une grande partie de la population locale s’est farouchement opposée au rachat de ses terres. Et les agriculteurs qui ont souvent accusé le gouvernement d’invoquer une «situation d’urgence» pour réquisitionner leur terrain, restent très mobilisés, forts du soutien de plusieurs ONG internationales comme Greenpeace. Fin mai, la presse locale rapportait également que 300 bateaux de pêcheurs ont défilé devant les murs d’enceinte de la future centrale, seules structures construites jusqu’à présent, pour s’opposer à la création d’un «nouveau Fukushima».
Autre problème, le site se trouve également en bordure d’une zone sismique de niveau 4, considérée comme à «hauts risques», et un tremblement de terre de 6,5 sur l’échelle de Richter a eu lieu dans la région en 1967. Selon un rapport des services géologiques indiens de 2006, consulté par Greenpeace, six failles se trouveraient dans un rayon de 5 kilomètres autour du site, ce qui est considéré trop dangereux pour y implanter une centrale nucléaire, selon la réglementation indienne. L’organisme public en charge de l’énergie atomique a cependant démenti ce risque en 2012 en assurant qu’il n’y avait eu «aucun mini-séisme dans un rayon de 44 kilomètres».

Le nucléaire trop cher pour l’Inde ?

Mais même si la population déplacée accepte son sort et si les craintes sismiques sont dissipées, le coût de l’opération risque de faire douter les autorités indiennes. Selon le centre indien de recherches Gateway House, la construction d’une centrale EPR coûte en effet 6 millions de dollars par mégawatt installé (soit près de 60 milliards de dollars pour les six réacteurs), ce qui revient deux fois plus cher que pour une usine russe et trois plus fois que pour une indienne. Sans parler du fait que l’EPR a connu quelques déconvenues cumulant les retards et les surcoûts en Finlande et en France, à Flamanville.
Et cet énorme investissement pour construire six EPR ne serait pas compensé par le coût de l’électricité, qui se situerait à un minimum de 6,3 roupies/kw/h (9 centimes d’euros). Car aujourd’hui en Inde, l’électricité au charbon est vendue à environ 4 roupies, le solaire est tombé à 4,34 roupies et même le gaz importé revient moins cher.«Economiquement, il n’y a aucun intérêt à signer ce contrat», conclut Amit Bhandari, spécialiste des énergies chez Gateway House.
Il reste que l’Inde a d’énormes besoins en électricité, afin de relier au réseau ses 300 millions d’habitants qui ne le sont pas, sachant que le pays ne peut pas dévorer toutes ses terres disponibles en y alignant des dizaines de milliers de panneaux solaires. Mais là encore, même si Areva réussit pendant l’année qui vient à rendre son électricité EPR plus abordable, elle devra également convaincre des assureurs, ou l’Etat, de se porter garant, car l’Inde détient l’une des lois sur la responsabilité les plus sévères du monde. En cas d’accident nucléaire, le constructeur peut être poursuivi devant la justice indienne. Avec toutes ces embûches, on se demande ce qui a fait naître un tel «espoir» chez François Hollande, au-delà de la volonté de donner un coup de pouce au champion français du nucléaire, aujourd’hui en mauvaise posture

Article publié dans Libération le 26 janvier

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