lundi 13 janvier 2020

Loi sur la citoyenneté : le gouvernement exclut les musulmans

L’avenue qui longe l’université musulmane de Jamia Millia Islamiyah est envahie de monde. Les étudiants de cette faculté réputée du sud de New Delhi protestaient lundi pour la cinquième journée consécutive contre l’amendement de la loi sur la citoyenneté, adoptée par le parlement la semaine dernière. Celui-ci facilite la naturalisation d’Afghans, Pakistanais et Bangladais résidant en Inde depuis cinq ans, à condition qu’ils ne soient pas musulmans. «Ce gouvernement ne considère pas que les musulmans peuvent avoir les mêmes droits que les autres, lance le jeune Shadab, étudiant d’anglais de la faculté. Il est en train de détruire notre constitution.»
Le gouvernement nationaliste hindou affirme vouloir offrir refuge aux minorités religieuses «persécutées» dans ces trois pays musulmans, principalement des hindous, mais la mesure semble contraire à l’article 14 de la constitution laïque de l’Inde, qui reconnaît l’égalité de tous les résidents indiens, quelle que soit leur religion. L’adoption de cette loi marque donc un tournant radical : si elle n’est pas annulée par la Cour suprême, auprès de laquelle l’opposition a fait appel, la religion pourra devenir un facteur d’acquisition de la nationalité indienne – et un nouveau critère de discrimination envers les musulmans, visés par les nationalistes hindous au pouvoir.

Fleurons universitaires

Le gouvernement de Narendra Modi a réussi mercredi dernier, grâce à un jeu d’alliances et de pressions sur les partis régionaux, à faire passer cette législation controversée à la chambre haute, où il ne détient par la majorité absolue. Mais ce sont maintenant les Indiens éduqués des plus grandes universités qui se révoltent contre cet affront aux fondements laïcs du pays. Les facultés musulmanes sont bien sûr en première ligne dans les villes d’Aligarh ou de Lucknow (Uttar Pradesh, nord) et de New Delhi, mais de manière beaucoup plus rare, les fleurons universitaires de l’Indian Institute of Management d’Ahmedabad et les Indian Institute of Technology de Bombay et Kanpour, classés parmi les meilleurs d’Asie dans leur domaine, ont également rejoint le mouvement. «Nous ne sommes pas contre l’amendement à la loi sur la citoyenneté, mais contre sa nature discriminatoire, explique Meesam Jafri, étudiant de l’IIT Kanpour et l’un des organisateurs de la marche prévue mardi dans cette ville. L’accueil de minorités persécutées doit se faire sans restriction sur la religion. Ainsi, nous devrions accueillir les rohingyas birmans ou les tamouls sri lankais.»
L’étincelle qui a réveillé cet esprit de révolte est la répression de la manifestation de dimanche aux abords de l’université de Jamia Millia Islamiyah, dans la capitale. En fin d’après-midi, quatre bus municipaux sont vandalisés ou incendiés à quelques kilomètres du campus. Quelques heures après, la police entre de force dans la faculté, sans l’autorisation réglementaire de sa direction, envoie du gaz lacrymogène dans la bibliothèque et blesse de nombreux étudiants, dont deux par balle.

Policiers casqués

Lundi, les étudiants étaient donc remontés contre la brutalité de cette police contrôlée par le gouvernement central. «C’est la police qui a mis le feu aux bus», clament plusieurs d’entre eux, en nous montrant une vidéo. Celle-ci montre en effet un homme d’une quarantaine d’années, finement rasé et bien habillé, arroser les sièges d’un bus avec un liquide qui sort d’un bidon. Il ne porte pas d’uniforme mais des policiers se trouvent à proximité du véhicule. Une autre montre des policiers casqués et en armure encercler des jeunes et s’acharner à coups de bâtons sur un homme à terre, le nez en sang. La police affirme avoir usé d’un «minimum de force» et soutient que des vandales ont attaqué les agents et les bus.
Les partis d’opposition, qui ont voté contre le texte au parlement, emboîtent le pas de ce mouvement populaire : à Calcutta, la cheffe du gouvernement de la région du Bengale a mené lundi une marche de 7 kilomètres, alors que le Congrès a organisé un grand rassemblent de l’unité samedi à Delhi. En tout, les dirigeants de cinq états fédérés ont annoncé qu’ils n’appliqueraient pas cette loi.
Pour le gouvernement, cela est un signe que l’opposition essaie de «diviser le pays». «Nous devons maintenir la paix, l’unité et la fraternité», a ainsi tweeté lundi le Premier ministre. Mais à New Delhi, certains hindous défilent justement dans ce but. «Cette loi vise une minorité. Et c’est ce que fait ce gouvernement depuis le début : isoler l’"autre" dans la communauté, analyse Somia Bejjal, professeure d’université venue à une grande manifestation dans la capitale samedi. Pour contrer cela, la majorité doit sortir pour soutenir la minorité, afin de montrer que nous sommes une démocratie qui croit en l’égalité de tous.»

Article publié dans Libération le 16 décembre 2019

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire