vendredi 19 février 2021

Inde : arrestation de Disha Ravi, cofondatrice de la branche locale de Fridays for Future

Cinq policiers de New Delhi ont traversé le pays et débarqué chez la militante environnementale Disha Ravi, à Bangalore, samedi midi. Pour immédiatement emmener cette écologiste de 21 ans dans la capitale, et la présenter devant un juge. Ce n’est qu’alors que Disha Ravi a compris ce qui lui était reproché : avoir complété et relayé sur Twitter un fichier expliquant comment soutenir les manifestations d’agriculteurs. 

Ce document, que Libération a consulté, explique d’abord pourquoi des centaines de milliers de paysans protestent depuis six mois contre la réforme actuelle de libéralisation de l’agriculture. Puis propose trois actions de soutien : tweeter en utilisant certains mots-dièses, écrire à son député puis organiser des manifestations devant les ambassades indiennes. Des actes anodins, à première vue. 

Mais la police de New Delhi considère que ce document aurait servi à préparer les manifestations violentes d’agriculteurs du 26 janvier, qui ont blessé des centaines de policiers et entraîné la mort d’un manifestant. Plus grave : ce ficher a d’abord été partagé sur Twitter par la jeune militante suédoise Greta Thunberg, à la tête de Fridays for Future (FFF) et des grèves pour le climat. 

Disha Ravi est l’une des fondatrices de la branche indienne de cette organisation et a échangé avec Greta Thunberg à ce propos. Pour la police, il n’y a donc pas de doute : la militante indienne fait partie d’un «complot criminel» visant à «lancer une guerre économique, sociale et culturelle contre l’Inde». Disha Ravi est donc détenue pour «sédition», «complot criminel» et «organisation d’émeutes», et a été placée en garde à vue pour cinq jours minimum. 

Pour ses collègues, tous âgés de moins de 25 ans, ces accusations sont absurdes. «Notre groupe ne cherche pas à ternir l’image du pays, nous voulons au contraire le sauver des ravages causés par le changement climatique, soutient Tamanna, militante de FFF à Pune (ouest de l’Inde), âgée de 23 ans. Et même si nous voulions organiser un complot, nous ne le ferions pas à travers un Google doc, dont les informations de localisation peuvent être retrouvées facilement !» 
 
«Idéologies destructrices» 

Anurag (1), qui a milité avec Disha Ravi, considère que ces accusations sont «politiques et illogiques». Il décrit cette jeune femme comme «l’une des militantes environnementales les plus actives et passionnée du pays». «De jour comme de nuit, Disha ne s’arrêtait jamais, raconte-t-il. Elle s’installait avec une table et une chaise lors des festivals universitaires, et parlait des heures avec les jeunes pour les convaincre que le changement climatique était réel. Son engagement est unique.» 

 Ce militant estime que le gouvernement de Narendra Modi a «peur de cette union entre les écologistes et les paysans. Et qu’il est préoccupé par son image à l’étranger». Or les manifestations des agriculteurs, qui siègent depuis trois mois aux portes de la capitale, impressionnent l’opinion publique internationale. Le 2 février, la célèbre chanteuse Rihanna a ainsi partagé un article de CNN sur le sujet auprès de ses 101 millions d’abonnés sur Twitter. Le lendemain, Greta Thunberg prenait le relais, ce qui a fait paniquer la diplomatie indienne. Le gouvernement nationaliste hindou trouve alors un nouvel angle d’attaque contre ces manifestants : le complot international. Devant le Parlement, le Premier ministre dénigre les «idéologies destructrices de l’étranger» et qualifie les organisateurs de ces manifestations de «parasites». 

 «Les graines de la traîtrise» 

Pour les autorités indiennes, «la différence entre militantisme et sédition devient de plus en ténue», s’inquiète Tamanna. La classe politique d’opposition se révolte contre cette arrestation, et les réseaux sociaux s’enflamment ces derniers jours. L’artiste engagé TM Krishna estime ainsi sur Twitter que «si l’arrestation d’une militante écologiste de 21 ans pour le partage d’un fichier d’information sur les réseaux sociaux n’est pas le signe que nous sommes tombés dans un Etat policier, je ne sais pas ce que c’est». 

 Dans le parti nationaliste (BJP) au pouvoir, on maintient qu’il faut «détruire les graines de la traîtrise». Les preuves apportées par la police semblent pour l’instant minces pour prouver de telles accusations contre Disha Ravi, mais l’objectif semble davantage de décrédibiliser le mouvement de paysans et de faire taire la critique. La loi contre la sédition, passible de la prison à vie, est une arme redoutable car elle rend difficile toute remise en liberté sous caution et permet de galvaniser les électeurs nationalistes hindous contre de prétendus «traîtres à la nation». 

Ces dernières semaines, ces accusations ont été portées contre tout ce qui peut ressembler à une opposition organisée : un humoriste célèbre, des journalistes de premier plan et un député fédéral d’opposition. La persécution est permanente, la dissension périlleuse. 

 (1) Nom d’emprunt.

Article publié dans Libération le 15 février 2021

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