jeudi 2 février 2012

"The Virtual Classes", et le professeur devient virtuel


Un vent de révolution souffle sur les écoles secondaires de Bombay, et a emporté les professeurs pour les remplacer par des télévisions. Et cette révolution porte un nom :  "The Virtual Classes", ou "Classes Virtuelles". 
Dans ce nouveau monde de l'éducation, le professeur donne son cours face à une caméra, depuis un studio, avec comme seule compagnie un grand tableau blanc et un marqueur rouge. Son cours est ainsi filmé et rediffusé en direct, par satellite, dans 147 classes du 10e niveau scolaire indien (l'équivalent de la 3e française), dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres. Les enfants de 15 ans, eux, sont assis par terre, et écoutent. Ils entendent, plutôt. Et essaient de suivre, tant bien que mal.
Entre les deux univers, un ordinateur est censé permettre aux enfants de poser des questions. Mais personne ne sait vraiment comment il fonctionne.

Cette méthode d'enseignement 2.0 a été lancée il y a un an par la mairie de Bombay, dans la plupart des écoles publiques secondaires de la grande agglomération. Son objectif annoncé: offrir des moyens pédagogiques modernes à des enfants de familles pauvres, grâce à l'introduction d'images et vidéos. Des moyens, donc. Mais dans quel but pédagogique ?  J'ai eu beau poser la question des dizaines de fois, à tous les échelons, du professeur au responsable de la mairie, je n'ai eu qu'une seule réponse: c'est moderne, donc c'est bien. Et comme argument massue: ces enfants d'écoles publiques vivent dans des bidonvilles, donc c'est un privilège pour eux. 

En effet, les moyens sont clinquants et démesurés. Une télévision plasma d'1,5 mètre de large trône au-dessus d'un ordinateur tout neuf, dans une classe qui n'a même pas de chaises ou de tables. Répliqué à 147 écoles secondaires de la mégalopole de Bombay, le budget s'élèverait à 2 millions d'euros en équipement.

Le résultat, que j'ai constaté en assistant à une heure de classe de mathématiques, dans une école d'Andheri : le professeur devient une machine qui aligne les équations sur un tableau blanc, et semble oublier qu'il doit attendre que les enfants aient compris le calcul pour effacer les formules. Et des enfants qui regardent la télévision comme une distraction, et ressortent de là plus confus qu'éclairés. 

Ce projet couteux semble, au mieux, sorti du cerveau d'un ingénieur de Bangalore, qui ne jurerait que par la modernisation des moyens et oublierait de se poser la question de son efficacité sur le terrain. Il ne vient en tout cas pas régler les vrais problèmes de l'enseignement public, comme l'inefficacité des méthodes pédagogiques des professeurs, ou l'effrayant absentéisme de ces enseignants, qui s'élève à 25% du corps professoral à un moment donné, bien derrière le Bangladesh (16%), ou le Pérou(11%).


Mais, malheureusement, la politique a aussi des raisons que l'on connait trop bien. Comme me le confiait une spécialiste de l'éducation, l'un des grands avantages d'un tel investissement en matériel, est que les élus de la mairie peuvent facilement détourner une partie du budget alloué sous forme de grasses commissions. Une plus-value officieuse qu'il serait bien plus difficile à sous-tirer en lançant un vaste programme de formation de professeurs.

Pour suivre ce cours de mathématiques en hindi avec moi, et entendre l'opinion - divergente- des professeurs et directeurs d'établissement, venez écouter ce reportage sur France Info.

Vous pouvez aussi profiter d'un cours virtuel... de manière encore plus virtuelle, par cette vidéo !