jeudi 18 juin 2020

New Delhi : le doux air pollué du déconfinement

Les klaxons résonnent à nouveau dans les rues de New Delhi, et avec eux plane un doux air pollué du déconfinement. Les agaçants triporteurs «auto-rickshaws» jaune et vert se faufilent enfin entre les voitures comme des mouches, à coups d’avertisseurs. Les énormes autobus, taillés comme des camions militaires, carburent enfin de manière suicidaire, brûlant les feux rouges avant de piler pour débarquer leurs passagers comme du bétail. On en a même déjà vu en panne sur le bord de route : il n’y a pas de doute, la capitale indienne se déconfine, et les 20 millions d’habitants de cette cité commencent à nouveau à respirer leur tendre air carboné.
Le bolide de Vineed Kumar et sa "protection"
Depuis mardi dernier, les rickshaws et les autobus, piliers de la mobilité urbaine indienne, ont repris du service à New Delhi, après deux mois au garage pour cause de Covid-19. Alors attention, comme après tout sevrage, la reprise est thérapeutique : pas plus d’un passager par triporteur, seulement vingt dans les autobus. Mais comme pour chaque traitement, il y a ses récalcitrants, particulièrement nombreux en Inde où la loi est souvent prise comme une suggestion. Les autobus sont peu nombreux à circuler et dès le premier jour, on voit donc une famille, fatiguée d’attendre dans cette chaleur estivale, se tourner vers le chauffeur d’un triporteur impatient. Un regard, deux mots, et les quatre membres embarquent illégalement dans le petit habitacle, avant de faire rentrer leurs grosses valises. Confinés dans un nouvel espace, mais à l’air libre.

Chaos discipliné

Il y a tout de même les précautionneux. Vineed Kumar, lui, a préparé son retour sur les routes. Son bolide est maintenant équipé d’un «écran» plastique qui sépare l’habitable en deux parties et le protège donc des passagers assis derrière lui. Une exception, certes, mais un modèle à suivre. Cependant, une fois passée l’excitation des retrouvailles, force est de constater que tout le monde n’est pas au rendez-vous. D’abord, le métro, cousin enterré aux passagers trop comprimés, reste confiné. Et même en surface, la circulation n’est pas aussi folle qu’aux grands jours. Le bruit d’ambiance est posé, mais le chaos reste discipliné.
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Il est vrai que les écoles n’ont pas repris et les commerces des zones commerciales sont tenus de suivre une acrobatique alternance : un magasin ne peut ouvrir qu’un jour sur deux, certains les jours pairs, les autres les jours impairs. Et tout cela réduit bien sûr la circulation. Mais il y a une raison plus triste à ce vide urbain : une partie des 100 000 conducteurs d’auto-rickshaws de New Delhi sont repartis dans leur Etat d’origine, le Bihar ou l’Uttar Pradesh. Ils ont quitté, comme des réfugiés, cette mégapole qui les a délaissés pendant ce confinement cruel. Et aujourd’hui qu’elle cherche à revivre, New Delhi ne peut que pleurer leur absence. Et espérer qu’elle saura les attirer à nouveau.

Chronique publiée dans Libération le 24 mai