vendredi 27 décembre 2013

L'homme du peuple prend le pouvoir à New Delhi

Il pourrait se fondre au milieu d'une foule indienne sans s'en distinguer, ni par le look, ni par l'attitude.

Arvind Kejriwal avance dans le monde sur-télévisé de la politique indienne habillé d'un simple pantalon gris et d'un pull uni bleu - ou avec les coloris inversés, parfois-, et drapé, en cet hiver brumeux de la capitale, d'une écharpe qui lui passe au-dessus de la tête, dans ce qui ressemble à un accoutrement de réfugié frigorifié.

Mais cela lui est égal : cet ancien cadre de l'inspection des impôts a la constance de ne pas se soucier de son apparence. L'impertinence d'avoir l'air ordinaire. Et d'en être fier : le seul signe distinctif, la seule médaille qu'il arbore et ne semble vouloir se défaire est ce beret triangulaire blanc sur lequel est écrit : "Mai hu aam admi", "Je suis un homme du peuple". L'apparence est un puissant langage, et qu'il le veuille ou non, Arvind Kejriwal en dit énormément à travers cette tenue ordinaire. 

Et c'est avec cet accoutrement "douteux" que cet homme sans prétention va devenir Ministre en chef du puissant et stratégique Etat de New Delhi, ce samedi 28 décembre, après que son jeune Aam Admi Party, le Parti de "l'homme du peuple", a remporté 40% des sièges du conseil régional. Dans ce pays où un seul parti, le Congrès, et un seul nom, les Nehru-Gandhi, ont réussi à tenir les reines de la politique nationale de manière quasiment monarchique depuis 65 ans, où la simple qualité d'être bien-né offre à Rahul Gandhi le droit de se présenter comme Premier ministre sans jamais avoir vraiment fait de politique, Arvind Kejriwal est en train d'initier une révolte étourdissante. 

Cela passe par des détails : la lutte contre les privilèges des nantis, qui s'octroient le droit de créer des embouteillages monstres dans la capitale en faisant hurler leurs sirènes. Refuser d'avoir des dizaines de policiers pour l'escorter, une habitude qui détourne ces forces de leur raison première, à savoir protéger les citoyens. Et décidant de prendre le métro pour se rendre à sa cérémonie de prise de fonctions. 

Cela serait taxé de populisme si cela venait de n'importe quel autre politicien. Mais Arvind Kejriwal, le regard toujours perdu et l'air timide, n'est pas un politicien. En tout cas, il ne joue pas selon les règles habituelles et cela déstabilise ses adversaires. Ce militant anti-corruption de longue date engage des candidats inexpérimentés et inconnus du grand public, mais au travail social de quartier reconnu, pour se présenter contre des caciques chevronnés, et les premiers déboulonnent les derniers. Lui-même, audacieux, suicidaire disaient beaucoup, est parti affronter l'ancienne Ministre en Chef de Delhi, en place depuis 15 ans, dans sa circonscription. Et il l'a terrassé. 

Arvind Kejriwal expérimente, écoute, avance les yeux et les oreilles ouvertes. Il trébuchera, se trompera, reviendra sur ses décisions. Mais ne semble pas avoir peur d'avouer ses erreurs. Car il ne calcule pas en terme de gain personnel, mais il avance en équipe, pour vraiment améliorer le quotidien des citoyens sans détourner des millions de roupies au passage. Eradiquer, tout simplement, cette gangrène terrible qui empêche l'Inde de grandir : la corruption. Et cela fait beaucoup de bien à voir.    

Pour découvrir le parcours exceptionnel d'un homme ordinaire, l'ascension fulgurante d'un ingénieur et cadre du ministère des impôts, jusqu'à la tête de la capitale indienne, voici un portrait diffusé sur France Culture. 


vendredi 29 novembre 2013

Bienvenue à Bombay, l'une des villes les plus bruyantes du monde

Le bidonville de Dharavi, en plein coeur de Bombay. ®Chandra Shekar
Bombay est une ruche : grouillante, fascinante, excitante même ... mais tellement fatigante ! Cette capitale financière de 20 millions d'habitants ne dort jamais, et pour les iconoclastes qui aimeraient freiner son rythme et se reposer, il y aura toujours le klaxon d'un rickshaw pour les réveiller. Et c'est reparti : "cours, ne t'arrête pas", car tout le monde ici a besoin d'aller plus vite. "On m'a dit que je pourrais devenir riche à Bombay". 
Mais cette frénésie a un prix : le bruit est permanent. Bombay a été classée par un centre de recherches indien comme la ville la plus bruyante du pays, ce qui est un triste record, très difficile à battre quand on connait le bruit permanent qui englobe toutes les autres métropoles du pays. Et en fait l'une des plus bruyantes du monde. (Voici les relevés officiels de jour et de nuit dans les différents quartiers de la ville. L'OMS recommande d'avoir un niveau de 55db en moyenne la journée pour rester sain d'esprit... on en est loin, même la nuit.)
  
C'est que cette ville est également l'une des plus densément peuplée de la planète. Pour se faufiler entre les carrioles des marchands ambulants, les grosses voitures qui se croient tout permis et les vélos à contre-sens, les 100 000 rickshaws noirs et jaunes qui parcourent ses rues à toute allure comme des abeilles ne connaissent qu'une seule règle de leur code de la route imaginaire : klaxonner. Klaxonner quand on démarre, klaxonner quand on double, quand on tourne. Ou klaxonner quand on se sent seul. Une dernière règle que j'ai déduit en essayant de comprendre pourquoi ce rickshaw qui me ramenait tranquillement chez moi avait eu besoin de klaxonner à 4h du matin, sur une avenue déserte...     
Il y aura aussi les dizaines de festivals pour ces centaines de dieux hindous, musulmans, jaïns, catholiques ou zoroastriens. Cette ville de migrants est une mosaïque de croyances et de dévotions. Et pour que les divinités les entendent dans ce chaos, il faudra faire encore plus de bruit... 

Que restera-t-il après tout ce bruit ? Les "mumbaïkars" ne le savent pas, car comme cette grenouille plongée dans un bain d'eau qui bout progressivement, ils se sont habitués à ce chaos et ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de se brûler les tympans. Le danger est pourtant très proche.  

En attendant, je vous propose de plonger dans cette frénésie sonore. Ouvrez vos oreilles : voici un reportage qui se passe pratiquement de commentaires. 





mercredi 30 octobre 2013

L'Aam Admi : les militants anti-corruption entrent dans l'arène politique

Des militants venus soutenir Anna Hazare à Bombay. ©Sébastien Farcis
Ils étaient partis... des millions, énervés, enragés, dans les rues de New Delhi, puis de tout le pays. Chapeau blanc sur la tête, emblème d'une révolution qui cherchait ses origines dans les combats de l'indépendance, ces petits soldats ordinaires, travailleurs de classe moyenne ou militants professionnels, marchaient vers un but : éradiquer la corruption du pays. 
Leur rage était à la mesure du cancer qui dévore le pays : l'Inde est classé comme l'un des pays les plus corrompus du monde ( 94e sur 176e selon Transparency International), où chaque papier dont aura besoin un Indien au long de sa vie, depuis l'acte de naissance de son enfant jusqu'à celui de la mort de ses parents, ne pourra être obtenu qu'en payant un fonctionnaire. L'administration est un droit qui coûte cher à cette population qui représente un Terrien sur six. 

A cette époque, en 2011, ils suivaient un guide de 74 ans, Anna Hazare, qui avait tous les attributs pour inspirer l'imaginaire révolutionnaire indien : pauvre et ascétique, âgé et usant de la grève de la faim comme arme ultime pour faire plier le régime de New Delhi. Nous étions retournés aux batailles inoubliables d'un Gandhi frêle se dressant contre le pouvoir autoritaire de l'empire colonial britannique. 

©Sébastien Farcis
Cette lutte aurait pu durer jusqu'à la mort du militant charismatique ou le passage de la loi qui mettrait en place l'autorité indépendante de lutte contre la corruption, comme le réclamaient les militants d'India Against Corruption. Mais aucun des deux n'arriva. 

Au lieu de cela, le gouvernement accepta de présenter une proposition de loi reprenant une partie des demandes des militants, et temporisa, comme le magnifique jeu parlementaire le permet. Et dans la rue, au bout de 18 mois et de la troisième grève de la faim, les militants se fatiguèrent. La rage s'était transformée en colère, pour finalement se mêler parmi toutes celles qui font le quotidien des Indiens. Et ne rajouter qu'un peu de frustration et de déception dans ce qui est gravement appelé "la plus grande démocratie du monde". 

Mais l'histoire ne se termina pas là. Anna Hazare avait fait long feu, mais sa flamme allait continuer à brûler dans l'esprit de ses lieutenants. Et surtout dans celui du plus fidèle et ambitieux d'entre eux, l'énervé et infatigable Arvind Kejriwal, ancien haut fonctionnaire et membre de l'élite de l'administration fiscale (Indian Revenue Service). 

Arvind Kejriwal. © DR
Ce dernier prit une décision controversée mais courageuse: créer un parti politique. Comme il était impossible de faire confiance aux élus pour mettre un terme à la corruption dont ils bénéficiaient, il fallait donc rentrer dans l'arène politique, et prendre soi-même les choses en main. Beaucoup de co-lieutenants désapprouvèrent ce choix et restèrent sur le trottoir des manifestations. Lui mena le combat de front. Et le changement, déjà, se fait percevoir. 


Ce changement n'est pour l'instant pas dans le fond, mais dans la forme. Le parti de Kejriwal, Aam Admi - qui veut dire l'"homme du peuple" en hindi - est déjà en train de créer un nouveau modèle politique en Inde. Il a très peu de fonds, mais les candidats doivent déclarer chaque recette ou dépense, ce qui est loin d'être une pratique dans le pays. Surtout, ces candidats sont élus par les membres du parti, un système de primaire encore inédit en Inde. Dans les autres formations politiques, beaucoup paient pour être sélectionnés par le parti des sommes pouvant aller jusqu'au million de dollars pour les postes de député national, ce qui ne fait qu'aggraver la corruption car ces élus devront alors trouver un moyen de se rembourser.  

L'Aam Admi connaitra son premier test de réalité le 4 décembre prochain, lors de sa première élection pour l'Assemblée régionale de New Delhi. Les sondages prévoient qu'il pourrait emporter une voix sur quatre, ce qui serait déjà extraordinaire pour un parti qui n'a qu'un an d'existence et fait face aux deux plus grandes formations politiques du pays, le Congrès et le BJP. 

Ce qui est déjà sûr, c'est que ce mouvement a entraîné dans sa course toute une classe moyenne qui, jusqu'à présent, était désabusée par la politique et ne pensait même plus voter un jour. Il faudra maintenant que l'Aam Admi atteigne les coeurs et les esprits des "hommes du peuple", ces classes pauvres qui représentent la majorité de l'électorat indien, pour faire une vraie différence. Et ainsi, peut-être, commencer à soigner l'Inde de cancer qui le dévore. 

Voici mon reportage au coeur de ce nouvel élan politique, avec les nouveaux militants du Aam Admi. 



mercredi 23 octobre 2013

Viols en Inde: une révolution sociale en marche ?

Cette ligne d'appels, mise en place à New Delhi,
croule sous les appels de femmes en détresse
qui osent maintenant dénoncer ces agressions.

Le 16 décembre dernier, quand six hommes aveuglés par l'alcool et leur frustration sexuelle ont assailli et violé une jeune étudiante de 23 ans dans un bus, ils ne pouvaient se douter que leur acte odieux allait contribuer à changer la manière dont on regarde les femmes en Inde. 
Pourtant, c'est ce qui semble être en train de se dérouler sous nos yeux. A un rythme aussi subtil et lent  que le permet ce pays immense aux niveaux sociaux si éclatés, mais dans un sens irréversible.  

Plus de dix mois après ce crime, non seulement les cinq violeurs encore en vie ont été condamnés (un mineur à trois ans d'incarcération et les autres à la peine de mort, alors que le sixième s'est pendu dans sa cellule), ce qui est extrêmement rapide pour la justice indienne. Mais surtout, la parole des femmes commence à se libérer, ouvrant la voie à une guérison sociale progressive. 

Une preuve de ce changement: entre janvier et juin de cette année, les plaintes pour viol à New Delhi ont été multipliées par trois. Difficile d'imaginer que le nombre réel de crimes ait augmenté aussi rapidement. C'est donc que les viols sont davantage rapportés par leurs victimes et pris en compte par les autorités. 

Le débat qui a suivi l'outrage causé par cet horrible viol collectif aura donc servi de catharsis salutaire à une société qui se modernise à grande vitesse mais vit encore, en grande majorité, selon des modèles patriarcaux moyenâgeux. 

"Auparavant, quand une femme était violée, elle n'osait pas en parler, car elle savait que tous les doigts seraient pointés sur elle. Elle porterait la faute. Aujourd'hui, la société, les médias et les institutions ont changé leur regard et portent leur attention sur l'auteur du crime", confirme Khalidjah Faruki, militante féministe depuis vingt ans et responsable du nouveau centre d'appels 181, destiné aux femmes en détresse. 

La femme violée n'est plus coupable. Elle est donc libre de parler. Cette prise de parole, initiée par une jeunesse éduquée et révoltée de New Delhi, mettra du temps à se propager au reste du pays. Mais soyons optimistes pour une fois, et croyons que, dans cette société indienne en perpétuelle ébullition verbale, ce changement ne s'arrêtera pas aux murs invisibles des grandes villes. 


Suivez-moi là où ce changement s'opère de manière flagrante, de jour comme de nuit : dans le centre d'appels et d'assistance juridique destiné aux femmes en détresse, ouvert par la région de New Delhi en janvier dernier. Là où les appels pleuvent et les premiers espoirs naissent. 

Le reportage audio est ici, et pour aller plus loin, voici la version écrite. 
  

mercredi 18 septembre 2013

Chute historique de la roupie : l'impact sur l'économie réelle

C'est une dégringolade historique qu'a connu la roupie ces derniers mois : la devise indienne a perdu 15% de sa valeur par rapport au dollar entre mi-mai et mi-septembre, et 20% par rapport à l'euro. Un bouillon inédit depuis près d'une décennie, dont les raisons sont doubles : cette chute a d'abord été déclenchée par l'annonce de la Réserve fédérale américaine (FED) de sa décision de mettre un terme à son plan d'injections massives de liquidités pour le soutien de l'économie américaine. D'autres économies émergentes comme le Brésil, la Turquie, l'Afrique du Sud et l'Indonésie, qui bénéficiaient de ces largesses, ont souffert par anticipation de ce retrait planifié de devises. 
Mais l'économie indienne a été la plus affectée, car son économie est encore fragile, minée par un compte courant déficitaire (4,9% du PIB) et une inflation galopante (7% par an, et plus de 10% pour les produits alimentaires). 

La dévaluation actuelle a déjà commencé à semer le trouble dans la troisième économie asiatique, et pourrait encore plus plomber un PIB au plus bas depuis dix ans, s'élevant à 4,4% au dernier trimestre.
Les premiers secteurs à subir le choc sont le transport aérien et l'automobile - le premier beaucoup plus fortement que le deuxième, ainsi que l'industrie sidérurgique et les infrastructures qui y sont liées. Alors que quelques-uns, comme les services informatiques, la pharmacie et le textile, pourraient, en tant qu'exportateurs, marginalement bénéficier de cette dégringolade de la devise nationale. 

Mon reportage sur l'effet de cette dévaluation de la roupie, à retrouver ici. 

Et pour écouter toute l'émission sur le sujet, rendez-vous ici.  

lundi 12 août 2013

Doit-on interdire la pornographie pour faire baisser les viols ?

Le débat est bouillant entre les différents acteurs qui cherchent le remède à ce mal endémique du viol - et il ne fait que s'échauffer ces jours-ci, alors que certains ont fait sortir un nouvel accusé de leur boite à antidotes : la pornographie. 

®Getty Images
Un avocat a en effet déposé un recours auprès de la Cour Suprême demandant l'interdiction totale de la pornographie et la criminalisation de son visionnage. Il est déjà interdit en Inde de diffuser ou de vendre tout matériel pornographique, mais le "consommer" de manière privée est toléré. Personne, en tout cas selon la loi, ne peut être condamné pour avoir regardé un film pornographique chez lui. 

C'est cela que cet avocat aimerait changer. Dans sa pétition, particulièrement mal écrite et maladroite, il affirme que les films pour adultes sont à l'origine des divorces, pervertissent la culture indienne et surtout, qu'ils sont responsables de beaucoup de viols, car "les criminels sexuels regardent ces clips avant d'attaquer des femmes". Ces affirmations, reprenant des clichés conservateurs très répandus dans le pays, ne se basent sur aucune étude scientifique précise. Et c'est bien cela qui fait peur, car la Cour Suprême a tout de même accepté d'étudier les mérites de cette pétition. 

Ce débat mérite pourtant la plus grande des nuances. D'un côté, il est évident qu'aujourd'hui, grâce à Internet - à travers les sites hébergés à l'étranger - et surtout aux smartphones indiens bon marché, la pornographie est de plus en plus accessible et mobile.  
Cependant, comme l'explique une sociologue qui a mené plusieurs études sur la sexualité des Indiens, il n'y a aucune recherche dans le monde qui prouve que la consommation de matériel pornographique entraine de manière directe la commission d'un viol. Certaines études montrent même, à l'inverse, que l'élargissement de l'accès à ces films aux Etats-Unis a été accompagné de la baisse des violences sexuelles. 

Pour essayer de percevoir le lien que l'on pouvait faire entre ces deux phénomènes, je me suis moi-même rendu sur un de ces marchés qui vend des films pornographiques pour téléphones portables par gigabits. Et d'essayer de voir si cela peut vraiment être dangereux pour les femmes indiennes 

Voici ce reportage





jeudi 8 août 2013

L'Inde, un géant à bout de souffle


®François Lenoir - Reuters
L'Inde connaît depuis plus d'un an un ralentissement économique inquiétant, avec une croissance tombée au plus bas depuis dix ans. La troisième économie asiatique souffre maintenant d'une autre hémorragie ; les investisseurs étrangers commencent à quitter le navire. Déçues par le potentiel de croissance indien, mais aussi par les lourdeurs administratives et la corruption, certaines grandes compagnies étrangères sont revenues de leur rêve indien.

L'entreprise la plus récente à annoncer son retrait est bien connue dans l'Hexagone : il s'agit d'ArcelorMittal. Le leader mondial de la sidérurgie vient en effet de jeter l'éponge. ArcelorMittal, contrôlé pourtant par l'Indien Lakshmi Mittal, cherchait depuis 2006 à ouvrir sa première aciérie dans le pays. Il prévoyait d'investir en tout 9 milliards d'euros, l'un des plus importants investissements étrangers des dernières années en Inde.
Le groupe avait déjà signé plusieurs contrats avec les autorités locales, mais il a été découragé par les délais extrêmement longs pour obtenir les terrains nécessaires et les droits d'exploitation du minerai. ArcelorMittal affirme poursuivre ses efforts pour ouvrir une première usine dans deux autres Etats indiens, le Karnataka et le Jharkhand. 
Ce cas est loin d'être isolé : la même semaine, un autre projet de sidérurgie engagé par le coréen Posco, a aussi été annulé, pour des problèmes similaires.

Mais d'autres secteurs sont également concernés. On peut citer la banque suisse UBS, l'américaine Morgan Stanley, ou le fabricant d'équipement de télécoms anglais Augere Wiresless. En tout, les investissements directs étrangers en Inde ont chuté de 27 % en un an seulement.
Crise économique et corruption
En cause, il y a bien sûr le ralentissement économique mondial, qui oblige les multinationales à investir avec parcimonie. Le français Peugeot avait par exemple annoncé il y deux ans la construction d'une usine dans le nord de l'Inde, mais a dû suspendre ce projet à cause de ses mauvais résultats en Europe.
Mais il n'empêche. Pendant cette même période, les investissements étrangers en Chine, eux, ont bondi de 20 %. Il y a donc un problème indien, et il est lié à une administration vétuste et corrompue.
L'acquisition de terrain reste le principal problème. La loi qui l'encadre est complètement obsolète, car elle date de l'époque coloniale. A cela, il faut rajouter les nombreux pots-de-vin qu'il faut payer à chaque étape et qui retardent les procédures. La Banque Mondiale a ainsi placé l'Inde au 173e rang mondial, sur 185 pays, dans son classement de la facilité de démarrer une activité dans le monde.
Une réponse législative ?
Une des réponses peut être législative. Le Parlement, en session ces jours-ci, a l'opportunité d'adopter plusieurs lois, qui encadreront plus efficacement l'achat de terrains pour les industries ou qui mettront en place un organe anticorruption pour punir les fonctionnaires en cause.
Mais là encore, le parti du Congrès, à la tête du gouvernement, est en minorité dans les deux chambres et semble trop faible pour cela. Il faudra peut-être donc attendre les élections de l'année prochaine pour voir apparaître un nouvel élan politique et économique.

Chronique publiée sur RFI 

mardi 6 août 2013

Dharavi Rocks, du recyclage à la musique

Ils sont jeunes et légèrement dépenaillés, âgés de 12 à 17 ans pour la plupart et venant du quartier chaotique et surpeuplé de Dharavi. Un monde à part dans Bombay, complètement abandonné par les autorités et qui, du coup, a appris à ces enfants à se débrouiller tout seuls et à créer à partir de ce que les autres ne veulent plus. 
Le groupe, lors d'un concert devant les étudiants
d'une grande école de commerce de Bombay
Dharavi, ce bidonville de plus de 600 000 habitants, est le centre du recyclage du plastique pour l'énorme mégalopole de Bombay et les enfants des ramasseurs de déchets ont donc mis à profit cette mentalité créatrice, en fondant un groupe de percussions à partir d'objets recyclés. Bidons de peinture en ferraille ou d'huile en plastique, bouteilles de verre, tout matériel, toute forme crée un son différent. Voici l'orchestre de Dharavi Rocks, composé des enfants du recyclage. 

Ce groupe monté il y a deux ans grâce à l'aide précieuse de l'association Acorn et au travail acharné de Abhijit Jejurikar, est en train de tracer sa route inattendue vers le succès : il est appelé pour jouer devant les responsables politiques ou chefs d'entreprise ainsi que certaines stars de Bollywood. Et le 31 juillet dernier, il était sur la plus grande scène de Bombay, le Blue Frog. Plus que de la charité, c'est un hommage à la créativité de ceux qui veulent rêver, aussi, et s'en sortir en musique.

Voici le reportage sur ce groupe incroyable de Dharavi Rocks.   

jeudi 4 juillet 2013

Du quartier rouge de Bombay à New York, le parcours extraordinaire de Shweta


C'est une de ces histoires que l'on aimerait entendre plus souvent. Tous les jours. Et croire qu'elle ne se dégonflera pas. Que ses acteurs seront à la hauteur de l'espoir qu'ils soulèvent en nous. 
Celle-ci débute dans un cadre aussi obscur et malsain qu'il est donné d'imaginer : Kamathupira, le plus grand quartier de prostitution de Bombay. Dans ces rues bordées de bordels insalubres et de femmes sans âge qui défigurent les passants depuis les pas de porte, une jeune fille ne peut rester innocente très longtemps. Elle fait ce qu'elle peut pour ignorer, se protéger ou s'isoler.  

Shweta Katti, elle, a vécu des heures sombres dans ce quartier aux lumières nocturnes: les garçons de son âge se moquaient d'elle car elle a la peau sombre des basses castes dont elle fait partie, et les plus âgés, ces clients qui passaient dans son immeuble, la surprenaient dans son quotidien, et jetaient à cette adolescente des propositions indécentes. Voire plus.  

Aujourd'hui, Shweta a 18 ans et elle raconte ce passé troublé d'une voix posée. Elle semble avoir intégré la douleur de ces années de lutte et se dit prête à la transformer en énergie créatrice. Ses grands yeux d'un noir brillant et sa voix, surtout, légèrement cassée, pressée et enthousiaste, nous convainquent qu'il faut croire dans ce petit bout de jeune fille qui va briser à elle seule une énorme barrière sociale: Shweta a été acceptée pour suivre quatre ans de formation dans la prestigieuse université de Bard, à New York. Là-bas, elle sera exemptée des frais de scolarité (une somme colossale d'environ 60 000 dollars par an), un privilège qui, si on on se fie au site de cette université, est une vraie exception à sa propre règle. 

A se demander si les dirigeants de Bard ont, eux aussi, voulu croire en cette belle histoire. 

Suivez-moi dans les rues de Kamathipura, pour découvrir le joli parcours de Shweta Katti. 

  
Un crédit spécial à Robin Chaurasiya, de l'ONG Kranti, pour l'aide précieuse offerte à Shweta, sans laquelle elle n'aurait pu partir. 

Voici le blog personnel de Shweta (en anglais). 

Et si vous voulez aider Shweta, qui cherche les fonds nécessaires pour sa vie à New York, voici où vous pouvez faire un don.   

mardi 4 juin 2013

Sur les décombres du Rana Plaza, l'industrie du textile forcée de se réformer


Sous une lumière rasante de fin d'après-midi, trois gros bulldozers avancent lentement au fond d'un trou béant et déplacent avec fracas, grâce à leur pelle géante, d'énormes décombres de béton. D'un côté, un grand pan de ciment laisse deviner les hautes parois d'un immeuble disparu, alors qu'en premier plan git une carcasse de voiture, écrasée, défigurée, par un poids que l'on devine monumental. Devant cette scène d'apocalypse, un militaire au visage épuisé guide, grâce à son talkie-walkie, le conducteur de l'une de ces machines et essaie désespérément de préciser ses ordres par de grands gestes. 
Un trou béant. Voilà tout ce qui reste de cet immeuble
de neuf étages du Rana Plaza. 
Cela fait trois semaines que les acteurs de ce ballet mécanique déploient une énergie colossale pour venir à bout de cet accident sans précédent : le 24 avril dernier, un géant de béton, appelé Rana Plaza, s'est écroulé en quelques secondes. Neuf étages transformés en une bouillie d'à peine trois niveaux. Son effondrement emprisonna soudainement, en ce début de matinée, plus de 3500 personnes. 

Ce soir, juste avant le coucher de soleil, les militaires déployés sur les décombres du Rana Plaza annonceront la fin des opérations de secours. Ils auront déblayé ces tonnes de restes de ciment, morceaux assassins devenus inutiles. 2438 personnes auront été sauvées. 1127 sont mortes. Beaucoup n'ont jamais été retrouvées.

Les causes de ce dramatique effondrement sont aussi multiples que prévisibles : l'immeuble ne devait compter que cinq étages, le propriétaire était en train de construire le neuvième. Il devait n'accueillir que des bureaux, et non ces cinq ateliers de textile, leurs centaines de machines à coudre vibrantes et les lourds générateurs d'électricité pour les faire tourner. Tout cela, soutenu par des murs d'un béton mou et de faible qualité, élevé sur d'anciens marais. La recette du désastre était complète. 

De ces décombres macabres nait cependant, aujourd'hui, un espoir : les secousses engendrées par cet écroulement de ciment a frappé l'Occident, qui feignait jusqu'à présent d'ignorer les conditions déplorables de fabrication de ses vêtements. 

Le 1er juin dernier, 38 grandes marques d'habillement -comme Carrefour, H&M et Zara- ont signé un accord contraignant qui les obligera à instaurer des contrôles indépendants dans les usines de leurs fabricants bangladais ; ces marques devront maintenant se tenir garant de la fiabilité de ces bâtiments, assurer que les mesures anti-incendie sont respectées. Et pourront être poursuivies en justice en cas d'accident. 
Voici les détails de l'accord en question (en anglais). 

Ces 38 marques ne représentent qu'un cinquième des donneurs d'ordre dans ce pays, devenu en quelques années le deuxième producteur de vêtements au monde, après la Chine. Mais c'est un pas encourageant et inédit au Bangladesh. 

Je vous propose de partir à Dacca, et d'écouter mon enquête sur cette réforme qui naît sur les décombres du Rana Plaza, afin de savoir ce qui peut vraiment changer. Et si nous pourrons garantir que nos vêtements ne sont pas entachés du sang des ouvriers bangladais. 

Pour aller plus loin, s'informer ou s'engager, voici quelques liens :

Clean Clothes Campaign, qui a mené campagne et fait pression pour le passage de l'accord.
Leur partenaire en France, Peuples Solidaires
Enfin, un rapport passionnant et effrayant du groupe International Labor Rights Forum sur les conditions de travaille des ouvriers du textile. 


Quelque minutes avant de mettre fin aux opérations de secours,
photo-souvenir de ceux qui ont oeuvré
pendant trois semaines pour sauver ceux qu'ils pouvaient. 
  



      

jeudi 30 mai 2013

Bangladesh : Itinéraire d'un printemps anti-islamistes

"Bangla Bangla Bangla ... JAAAAAAI BANGLA". Ce vendredi soir d'avril, comme tous les week-ends depuis le début du mois de février, des milliers de personnes ont envahi la place Shahbag, devenue le coeur de la révolte anti-islamiste du Bangladesh. Sur ce rond-point, extension naturelle du campus de la faculté de Dacca et artère historique de la capitale, la jeunesse du pays entonne, crie à se casser la voix, des chants empruntés à leurs parents. Ce sont les chants de la révolution de l'Indépendance de 1971, une guerre qui a permis à cette terre de se libérer de la tutelle d'un Pakistan islamiste et de faire naître ce nouveau pays, le Bangladesh, sur des bases laïques. 

Les jeunes de Shahbag défendent leur place forte,
face aux incursions de groupes d'islamistes. 
Ces manifestants sont professeurs, ingénieurs ou docteurs, dans la vingtaine révoltée, et ils se battent contre un ennemi bien identifié, l'islamisme, et son représentant le plus puissant et dangereux à leurs yeux: le Jamaat-e-Islami. Sur cette place Shahbag, ils veulent croire qu'ils sont les acteurs d'un "printemps bangladais".  

Cette lutte d'aujourd'hui trouve ses racines dans un combat inachevé depuis l'indépendance de cette terre, ex-Pakistan oriental devenu Bangladesh à l'issue d'une guerre cruelle et sanglante. Islamabad réprima alors ce mouvement en lançant ses troupes massacrer sans merci les civils nationalistes bangladais : intellectuels, étudiants ou simples manifestants, des dizaines de milliers de personnes ont été massacrés, violés, abattus. L'armée pakistanaise s'est appuyée pour cela sur des milices islamistes de razakars ( "volontaires" en ourdou), dont la plupart se trouvaient dans l'organisation du Jamaat-e-Islami. Selon les estimations de chercheurs, environ 300 000 personnes auraient perdu la vie lors de ce conflit.
Place Shahbag, les jeunes font voler
le drapeau du Bangladesh.

Mais quarante ans après, cette plaie saigne toujours dans le coeur des nationalistes bangladais et de leurs enfants. Car les procès de ces criminels de guerre, initiés au lendemain de l'indépendance, ont été avortés par les militaires qui ont rapidement pris le pouvoir à Dacca, laissant, jusqu'à récemment, ces massacres impunis. 

En 2008, le parti des "freedom fighters", l'Awami League, a ainsi créé un nouveau tribunal spécial pour juger ces atrocités. Onze personnes ont été inculpées, dont neuf font encore partie de la direction du Jamaat-e-Islami, devenu le principal parti islamiste du Bangladesh. 

Depuis fin janvier dernier, les premières sentences sont tombées : quatre cadres de ce parti ont été condamnés à mort pour crimes contre l'humanité ou génocides, et un autre à la prison à vie. Ces sentences ont fait ressurgir les divisions profondes qui perdurent entre islamistes et laïcs, dans l'un des derniers pays à majorité musulmane de la région à ne pas être devenu une république islamique. 

Je vous propose de suivre ce combat historique violent, par les mots et les affrontements, à travers ce reportage dans les rues de Dacca, réalisé sous pseudonyme au moment où les deux camps étaient sortis dans une impressionnante démonstration de force. 

Vous trouverez également ici une version écrite de ce reportage. 


Le 6 avril, près de 500 000 jeunes islamistes des madrasas
ont défilé dans les rues de Dacca,
à l'appel du Jamaat-e-Islami et de son allié, le Hejazat-e-Islam. 


PS : Malheureusement, le mouvement de la place Shahbag, faute d'itinéraire politique clair, est progressivement en train de s'éteindre. Les cyniques diront qu'il n'était qu'une gentille révolte spontanée de jeunes, télé-guidés par le parti au pouvoir pour affaiblir les islamistes. Les optimistes y verront un sursaut salutaire d'une nouvelle génération qui veut croire en un Bangladesh tolérant. 


mardi 26 mars 2013

Goa : que sont devenus les enfants des hippies ?

Plage de Small Vagator. Là où les premiers hippies sont arrivés
et où jouent maintenant leurs enfants. 
Ils sont nés près d'une plage et ont passé leur enfance dans un monde merveilleux, plein de couleurs et de bonnes humeurs, de danses et d'expériences. Libres de faire ce qu'ils voulaient, dès le plus jeune âge. 
On ne choisit pas ses parents - et le destin a voulu que ces enfants voient le jour dans des familles hippies. Bébés, ils seront rarement réprimandés, davantage emmenés dans les soirées et partagés par la communauté. Adolescents, peu d'entre eux essuieront de refus quand ils voudront partir découvrir l'inconnu et le danger et souffriront si peu de la colère de leurs "vieux" au moment où ces expériences n'auront pas tourné comme ils le pensaient. 
Cette jeunesse d'apparence idyllique fut celle d'une partie de ces enfants des hippies de Goa. Certains de ces parents, malgré leurs convictions libertaires, imposeront toutefois une certaine discipline à leur progéniture. Cependant, même ces quelques remontrances pourraient avoir l'air inoffensives en comparaison de celles entendues dans n'importe quelle famille de cet Occident qu'ont quitté ces "babas cool". 

Les hippies partis fonder une nouvelle société à Goa, dans les années 70, ont donc créé de nouvelles règles d'éducation et ainsi transmis, souvent malgré eux, cet héritage libertaire à leur descendance. Mais le manque de discipline n'est pas forcément le meilleur cadeau à faire à des jeunes, car ceux-ci devront ensuite lutter pour apprendre ces règles dans le monde extérieur. C'est ce que relatent ces jeunes adultes, aujourd'hui âgés entre 20 et 30 ans. Certains vont éviter au maximum le contact avec ce monde extérieur difficile et astreignant, alors que d'autres iront jusqu'à chercher cette discipline qui leur a fait défaut et deviendront gardes de sécurité ou militaires. 

Voici un reportage audio et écrit sur l'étonnant parcours de ces enfants des hippies de Goa.

Brigitte Axel, Française hippie arrivée dans les années 70 à Goa,
avec sa fille Anami, née sur place.
Brigitte, qui vend aujourd'hui des habits sur le marché d'Anjuna,
a écrit trois ouvrages sur ce monde hippie,  publiés en France. 

vendredi 1 mars 2013

Manifestations contre les viols : un vent de révolution souffle sur l'Inde



Elle fut appelée la "conscience", le "trésor" et surtout "Nirbhaya" : "celle qui n'a pas peur". Tous ces traits héroïques ont été offerts à cette jeune fille de 23 ans, violée le 16 décembre dernier dans un bus de New Delhi, et qui s'est battue, jusqu'au bout, pour survivre. 
Plus simplement, elle fut consacrée, le jour de son décès, comme "la fille de l'Inde", tant elle a symbolisé le combat de ces Indiennes qui se battent aujourd'hui pour vivre comme individus éclairées et responsables, autonomes et intelligentes. Le crime d'un jour a réveillé les consciences de toute une jeunesse, pour longtemps, pour toujours peut-être. 
C'est une révolution sociale que connaît l'Inde aujourd'hui, une version de mai 68 à l'échelle d'un sous-continent entier, et qui prend sa source dans un bouleversement démographique : la moitié de la population du pays a moins de 25 ans et l'élan que ces jeunes urbains ont initié pourra difficilement être arrêté par les élites vieillies et obsolètes. 
Ce mouvement mettra cependant du temps à prendre forme, car ce pays d'1,2 milliard d'habitants est écartelé entre une population rurale encore majoritaire et très conservatrice et celle urbaine, éclairée et influente qui vit au rythme moderne des nouvelles technologies et de l'ouverture sur le monde. 

C'est l'émergence de cette révolution que j'ai voulu suivre par ce documentaire, qui naît dans un voyage de bus éprouvant d'une jeune étudiante de New Delhi et fleurit dans des propos optimistes de celles qui se battent pour l'émancipation des femmes indiennes depuis trente ans. 

Suivez-moi dans cette version audio, ou, plus courte, celle écrite
  
  

mercredi 16 janvier 2013

L'affaire du viol de New Delhi, et le décalage de la classe politique indienne

©Getty Images
Pendant des jours, elles ont manifesté dans le froid hivernal de New Delhi, rejointes rapidement par des hommes qui se rendaient compte que ce n'était pas seulement un problème de genre. Pendant des semaines, les travailleurs actifs, militants, ou simples passants de la capitale ont crié leur outrage face au viol de trop. L'Inde d'aujourd'hui, jeune, de plus en plus moderne, urbaine et émancipée, était en colère. 
La réponse de leurs élites aura mis du temps, beaucoup de temps à venir : une semaine, et sous la forme d'un discours enregistré à la télévision d'un vieil homme courbaturé, aux cheveux blancs et à la diction imprécise quand il lisait un texte creux : le Premier ministre Manmohan Singh, 80 ans, appelait, d'une voix hésitante et sans émotions les manifestants enragés à se calmer et promettait qu'il ferait "tout ce qu'il pouvait pour assurer la sécurité des femmes". 

Cet appel déconnecté d'un leader en fin de vie représenta pour moi le symbole d'un des plus grands problèmes politiques en Inde : le décalage de l'élite par rapport aux problèmes de la population qu'elle est censée représenter. Un fossé qui est en premier lieu celui de l'âge : la moitié de la population indienne est âgée de moins de 25 ans, alors que la moyenne d'âge des membres du gouvernement est de 65 ans.  

©AFP
Et aujourd'hui que la pression de la rue est retombée, les langues se délient, et certains hommes politiques ou leaders religieux d'un autre monde viennent ajouter l'insulte au déni de sécurité, en affirmant que les femmes sont finalement en partie coupables de cette augmentation de viols, car elles ne restent pas à la maison comme elles le devraient, ou pire, parce qu'elles ne respectent pas assez les hommes. La domination des hommes, qu'elle soit physique ou idéologique, a encore de beaux jours à vivre en Inde.


Vous pouvez écouter ici ma chronique sur le sujet, sur RFI. 




©AFP

vendredi 11 janvier 2013

Ratan Tata tire sa révérence

Ratan Tata. DR
Ratan Tata était un peu le Antoine Riboud indien: le sage, le mentor et la touche humaine dans un monde de requins. L'héritier d'une dynastie respectée et admirée pour son philantropisme et son capitalisme social novateur, offrant à ses employés des avantages sociaux inédits pour ce pays.

Avec son départ à la retraite, le 28 décembre dernier, à l'âge de 75 ans, ce bel homme, à la chevelure grisonnante et au profil aquilin typique de cette communauté d'origine iranienne des parsis, Ratan Tata laisse la communauté des affaires orpheline. Et le conglomérat Tata entre, doucement, dans une nouvelle ère. 

Ratan a réussi brillamment à faire passer le groupe dans l'économie mondialisée d'aujourd'hui, et le transformer en premier conglomérat du pays. En 21 ans, il a triplé son nombre d'employés, qui dépasse les 400 000 personnes, décuplé son chiffre d'affaires, qui atteint les 70 milliards d'euros par an, et surtout projeté la marque Tata à l'étranger, avec une certaine audace : sous sa direction, le groupe a ainsi racheté les thés Tetley, ainsi que l'emblématique Jaguar et Land Rover, en 2008, pour 2 milliards d'euros. Un pied de nez magnifique à l'histoire, car cette marque indienne est maintenant devenue le premier employeur industriel chez son ancien colon.

La main est à présent passée à un homme plus jeune : Cyrus Mistry, 44 ans, est un ancien patron d'une société de construction dans le groupe, et il devra d'abord remettre à flot certaines entreprises déficitaires du groupe, dans la sidérurgie et l'hôtellerie, entre autres. Avec une question : gardera-t-il l'esprit familial et social, ou transformera-t-il Tata comme le fils Riboud a transformé Danone, en une entreprise comme une autre, à la recherche d'un profit de plus en plus aveugle aux conséquences sociales ?

Vous pouvez écouter ici mon reportage sur France Info