lundi 17 décembre 2012

Narendra Modi : Une machine en marche vers New Delhi

@DR
Il est à la tête de l'un des Etats qui connait la plus forte croissance du pays, un petit paradis pour les investisseurs nationaux et étrangers, il y contrôlerait tout comme avec le désir de réussite d'un chef d'entreprise aux yeux rivés sur le cours du CAC 40; et les villes du Gujarat, comme Surat et Ahmedabad, font partie des villes à la plus importante croissance du monde, selon Forbes (2010).

Narendra Modi est une sorte de Sarkozy indien : un animal politique, présent partout, tout le temps, décidant de tout. Charismatique orateur. Et comme notre petit nerveux d'origine hongroise, le "tigre du Gujarat" non plus ne pense pas à briguer le poste de Premier ministre uniquement "quand il se rase".

Le chef du gouvernement du Gujarat, l'un des piliers du parti conservateur et hindou du BJP, devrait être réélu pour un troisième mandat consécutif à la suite des élections parlementaires fédérales qui se tiennent ces 13 et 17 décembre. Mais tous les politiciens du pays seront particulièrement attentifs à l'ampleur de cette victoire, pour savoir si cet aspirant Premier ministre réussit à faire oublier son rôle dans les pogroms de Godhra de 2002, qui ont vu le massacre d'environ 1000 musulmans par des extrémistes hindous. Et détient la légitimité et la capacité à rassembler toutes les communautés nécessaires pour diriger cette Inde si diverse. 

Le combat pour l'ascension vers New Delhi ne fait que commencer, et connaîtra sa bataille finale au printemps 2014. 

D'ici là, voici les témoignages de ceux qui ont vécu ces changements des dix dernières années au Gujarat, et qui donnent leur avis sur les chances de Narendra Modi. 






jeudi 13 décembre 2012

Hommage au grand Ravi Shankar

®Getty images


C'est un homme qui a dépassé les frontières: celles de son pays, d'abord, en allant porter son art dans le monde entier, mais surtout celles de son genre, la musique classique indienne, qu'il a porté à des cimes qui forcent l'admiration de tous ses pairs. Il l'a fait évoluer comme personne avant lui, en acceptant les mélanges, les fusions, pour finalement faire naître un nouveau genre : la musique du monde. 

Hommage à cet homme du monde, être matériel autant que spirituel, qui n'a jamais arrêté de parler à tous, par sa musique, jusqu'à son décès, ce 11 décembre, à 92 ans. Ses notes ont réalisé, à un moment de l'histoire, bien plus pour faire connaître l'Inde que beaucoup de politiciens. 

Voici un portrait musical, qui mélange la musique classique et la collaboration avec Georges Harrisson. 

Et un reportage dans une école de musique classique de Bombay, où les professeurs de sitar sont encore émus en parlant de la qualité de son art, et les jeunes élèves, la future génération, parlent de Ravi Shankar comme d'un dieu. 
    

mercredi 5 décembre 2012

Quand les commerçants invoquent les dieux

C'est un débat bouillant, interminable, inextricable, qui occupe et paralyse la politique indienne depuis des mois. La question principale est pourtant simple : doit-on autoriser les multinationales de la distribution, ces compagnies aux réputations sulfureuses comme Wal-Mart ou Carrefour dans notre héxagone, à pénétrer le marché indien ? 

Cette interrogation économique, cependant, est détournée en termes douteux, quand elle arrive dans l'Assemblée indienne, et se transforme en : "doit-on vendre le pays aux capitaux étrangers" "Doit-on autoriser nos millions d'épiciers à mourir" ?  

Le vote devrait être remporté de justesse par le Parti du Congrès à la Chambre basse, grâce à l'abstention de plusieurs partis, et doit encore passer devant la Chambre haute. 

Manifestation de foi, ou prière politique ?
L'association des commerçants indiens
n'a pas peur du mélange des genres,
en organisant ce "puja" agrémenté de slogans politiques. 
En attendant, les commerçants, eux, utilisent tous les moyens possibles pour influencer les députés et le cours du destin. Et le dernier en date est bien sûr l'appel aux Dieux. 

Voici un reportage dans un temple, situé au coeur de la grande halle de l'est de Bombay. 

Pour approfondir le sujet, voici mon récent post et grand reportage sur le sujet. 


lundi 3 décembre 2012

Les Mittal : ces riches indiens malaimés en France

Lakshmi et Aditya Mittal, PDG et
Directeur financier du groupe
Crédits : François Lenoir - Reuters
Il n'y a pas à dire : ils brisent bien net le cliché de l'Inde misérable. Et pourtant, on ne les aime pas plus en France... Pas de chance !
La famille Mittal représente l'icône la plus flamboyante de la nouvelle diaspora indienne qui a compris, bien avant les dirigeants du sous-continent, que l'économie était à présent mondialisée. Les Mittal ont tellement pris ce credo à bras le corps qu'ils sont devenus la caricature de ces nouveaux riches capitalistes tant décriés en France : ils vivent dans la maison la plus chère de la capitale financière européenne, ils louent notre "trésor" de château de Versailles pour y marier leur fille, et dépensent dans cette affaire plus d'argent que le salaire annuel combiné de tous les salariés des fourneaux de Florange aujourd'hui sur le carreau (42 millions d'euros). Il n'y a pas à dire, les Mittal n'avaient rien pour plaire aux Français. 

Mais ce qui est plus intéressant, c'est que cette folie dépensière, cet amour de l'argent a, chez les Mittal, des origines bien plus profondes que la naissance du groupe leader de l'acier, qui porte aujourd'hui leur nom. 
Les Mittal sont avant tout des marwaris, une caste supérieure de commerçants du Rajasthan, pour qui la supériorité et le succès sont des acquis, le business se fait en famille, et la réussite d'une génération s'évalue à l'éblouissement provoqué par les centaines de diamants de la parure de la mariée et aux milliers d'invités qui viennent les admirer. 

Pour connaître les quelques traits indiens qui rendent cette famille si originale, voici un petit portrait subjectif des Mittal. 

   

mercredi 14 novembre 2012

La coopérative qui vaut des millions

Comme dans l'épopée fameuse, elles ne sont parties qu'à sept femmes. Et sont arrivées, après un long voyage de plus de 50 ans, à 43 000. 

Ce voyage est celui de Lijjat, une coopérative réservée aux femmes, et dont le but est le même depuis tout ce temps : employer des femmes, et les aider à devenir indépendantes grâce au travail, et non grâce  à la charité. 
Lijjat est une entreprise hors du commun, dans le monde d'aujourd'hui. Pour beaucoup de raisons. 
D'abord, l'argent gagné par l'entreprise n'est pas perdu dans des investissements boursiers obscurs ou offert très généreusement aux patrons dévoués. Non, l'énorme majorité est redistribuée aux "43 000 co-propriétaires de l'entreprise", les travailleuses de Lijjat, tous les 6 mois, à parts égales. 
Et du plus bas au plus haut de l'échelle, de la rouleuse de galettes à la présidente nationale, toutes reçoivent les mêmes dividendes. 
Ensuite, Lijjat représente le règne débridé de la discrimination - positive, cela va sans dire : aucun homme n'a le droit de devenir membre de la coopérative. Y travailler, oui, comme comptable, livreur ou serveur de thé. Mais non comme membre à part entière, qui recevra des dividendes sur les bénéfices. Ca, fallait oser !



Enfin, et c'est peut être le plus fou, ces femmes qui s'évertuent depuis plus de 50 ans à rouler des galettes croustillantes, appelées papad, ont réussi à dégager un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros en 2011, en vendant ces petits pains pour moins de 30 centimes d'euros les 100 grammes. Et les exportent dans le monde entier, des Etats-Unis au Japon. 


Pour découvrir le secret gandhien de cette coopérative de vraies combattantes acharnées, voici mon reportage au milieu de ce modèle économique alternatif. Un reportage qui fait du bien, je vous l'assure ! 

Et d'ailleurs, je ne peux que vous recommander d'écouter toute l'émission dans laquelle il a été diffusé, et qui est consacrée à ces modèles économiques et écologiques alternatifs. Un moment passionnant de radio.  





vendredi 19 octobre 2012

L'ouverture du marché de la distribution, ou la peur de l'inconnu




Les épiciers ont peur. Peur de l'inconnu, peur de l'étranger, peur de la concurrence déloyale. Et on peut les comprendre. Depuis des générations, ils tiennent le même commerce, vivent souvent derrière les murs de leur boutique, dans des conditions précaires à cause du manque d'espace dans cette ville surpeuplée de Bombay. Frères, cousins et grands-pères ont tous contribué à faire de ces murs leur unique, et si fiable moyen de subsistance. Alors les épiciers, comme souvent, ont peur du changement. Surtout quand celui-ci porte des noms étrangers.

Cette ère nouvelle a débuté le 14 septembre dernier, quand le gouvernement a annoncé l'ouverture du commerce de détail aux investissements étrangers. Les multinationales de la grande distribution, comme Carrefour, Auchan et autres Wal-Mart, sont à présent autorisées à ouvrir leur propre supermarché de détail, et à en détenir jusqu'à 51% du capital - le reste doit l'être par un partenaire indien. 

Le gouvernement avait déjà essayé de lancer cette grande réforme, en novembre 2011, mais la pression de l'opposition et des bruyants syndicats de commerçants avait réussi à le pousser à faire marche arrière. Cette fois-ci, malgré le remue-ménage provoqué par une grève générale d'un jour, New Delhi a tenu le choc. Et la réforme est passée. 

Tout le monde essaie à présent de se projeter, afin de savoir à quoi ressemblera cette nouvelle ère des supermarchés. Et pour cela, il nous faut d'abord regarder autour de nous. L'Inde est aujourd'hui un pays de petits commerçants : 93% du marché de détail est détenu par ces "kiranas", les épiceries indiennes élevées en institution. Le kirana pourrait être comparé à une caverne d'Ali Baba des temps modernes, tenue par la troupe du Cirque du Soleil ; un petit espace, surchargé de marchandises, depuis le sol, au pied du comptoir, jusqu'au plafond, et même au-delà, où le fils le plus mince et agile de la famille ira vous chercher votre masala spéciale du Kerala pour agrémenter la sauce de votre poulet. 

Le service offert par le kirana est légendaire, et sans limites: cette épicerie est ouverte à toute heure, vous fait crédit, et vous livre gratuitement, sur un simple coup de fil, même si ce n'est que pour un pot de "dahi" (lait caillé). 
Cependant, le produit que vous recevrez ne sera pas toujours bon marché, et se révèlera même parfois d'une fraicheur douteuse. "On trouve parfois des vers dans la farine", affirme ainsi une femme de 40 ans.   

Et c'est là que le bât blesse parfois. Car dans ce bordel organisé que représente le système de distribution indien, il y a beaucoup de pertes, et peu d'investissements dans les infrastructures : 40% des fruits et légumes, par exemple, sont perdus lors du transport, à cause de l'absence de chaîne de froid. Or de tels camions frigorifiques sont bien trop coûteux à louer ou acheter pour les petits acteurs qui composent aujourd'hui le réseau. Le gouvernement, pour convaincre de l'intérêt de cette réforme, a donc imposé aux multinationales qui veulent pénétrer ce marché d'investir au minimum 100 millions de dollars en Inde, dont la moitié dans ce genre d'infrastructures. 

Mais surtout, cette ouverture était nécessaire en termes purement économiques : l'Inde compte aujourd'hui l'économie la plus hermétique aux investissements étrangers parmi les grands pays émergents du BRIC. La Chine communiste, par exemple, a déjà ouvert son marché de la distribution depuis 20 ans... Or, l'Inde commence à pâtir sérieusement de ce patriotisme économique excessif : les investissements directs étrangers ont ainsi plongé de 67% sur le premier trimestre 2012. Et son PIB devrait tomber à moins de 5% cette année, contre 8% en 2011, si l'on en croit les prévisions du FMI. 

Pour continuer cette visite dans le monde des petits commerçants indiens, et découvrir ce qui pourrait arriver à nos chers kirana une fois que Carrefour aura ouvert ses premiers supermarchés, je vous invite à regarder ce diaporama, et écouter ce Grand Reportage... dans lequel certains n'ont pas peur de parler de tsunami ! Qui a dit que les épiciers étaient des gens excessifs ?    

vendredi 27 juillet 2012

Les détectives de l'amour

Le mariage est une affaire bien trop sérieuse pour la confier au hasard... Voilà comment on pourrait résumer l'institution matrimoniale en Inde, en général, où le mariage reste très largement arrangé.
Et voilà comment il serait bon de comprendre, plus particulièrement, le nouveau commerce qui est en train de naître : celui des enquêtes pré-matrimoniales.

L'agence Veteran Investigations réalise, rien qu'à Bombay,
plusieurs dizaines d'enquêtes pré-matrimoniales par mois.  

Comme son nom tristement administratif l'indique, ces "enquêtes" sont menées par des détectives privés qui, au lieu de se cantonner à suivre à la trace un mari infidèle ou une épouse volage, avide d'aventures avec son chauffeur ou son banquier, vont maintenant passer au peigne fin les faits et gestes du "futur mari", ce prétendant à la noce, avant qu'il ait pu consommer qui que ce soit. Ou de la "future épouse", cela va sans dire. 
Le besoin est criant, car dans les classes moyennes éduquées, les jeunes commencent à révolutionner la bonne insitution du mariage arrangé. 

Cette institution exige traditionnellement que les parents, cousins, et oncles se mêlent de ce qui ne les regardent pas complètement, et choisissent le bon prétendant, ou prétendante, pour l'enfant de la famille. Un choix réalisé, bien sûr, sur chaudes recommandations d'un autre parent éloigné ou d'une tante sexagénaire, et avec une assurance qui défiait toutes les autres : en plus d'être de la caste, de la famille et du statut social qui convenait, on le "connaissait". En tout cas, il a été "recommandé" par quelqu'un que l'on connaît, on pouvait donc s'assurer de son éducation, et de tout le reste.

Or, rien ne va plus du côté de ces classes moyennes. Et, encore une fois, c'est la faute d'Internet. Les jeunes urbains décident en effet de prendre les choses en main, et de choisir leur moitié. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'ils le font souvent en appliquant les mêmes règles que leurs parents : ils vont sur des sites internet de rencontres matrimoniales, grâce auxquels il est possible de filtrer les candidats selon les mêmes critères que les parents : âge, caste, origine, éducation, statut social - et même couleur de peau ! Cette indépendance conditionnée porte même un nom : les "Arranged love marriages". 

Shaadi.com ("mariage".com), est considéré comme le plus important
site de rencontres matrimoniales du monde.
Le mariage arrangé, version 2.0

Et comme Internet est sans aucun doute une source de problème, les parents préfèrent aujourd'hui vérifier à quel beau-fils, ou quelles belle-fille, ils risquent d'avoir affaire. Et c'est là qu'intervient notre cher Columbo indien: le détective va donc mener une enquête minutieuse pour apporter des références aux parents. Ce prétendant vient-il vraiment de tel milieu social ? Détient-il vraiment les biens qu'il prétend ? Boit-il ? Beaucoup ? Etc... Un réflexe qui peut se comprendre, en lisant toutes les affaires d'escroquerie à la dot qui paraissent dans les journaux, ou de violences conjugales. 

Toujours est-il que ce besoin crée un vrai commerce aujourd'hui, car plus d'un million d'enquêtes pré-matrimoniales seraient réalisées chaque année en Inde. 

Pour écouter l'histoire de cette famille qui a fait appel à ce détective, et les méthodes employées pour vérifier la respectabilité du prétendant, voici mon reportage sur les détectives de l'amour, sur RFI. 

  







vendredi 29 juin 2012

L'Arabie Saoudite extrade un terroriste vers l'Inde

Abu Jindal. Photo récente,
présentée par les médias. ®IBN TV
Lundi dernier, le ministère de l'Intérieur a annoncé l'arrestation de Sayyed Sabyudin Ansari, alias Abu Jindal, ou Abu Hamza, l'un des cerveaux présumés des attaques commandos de 2008 contre Bombay. Cet Indien de naissance, qui a rejoint les rangs des groupes des Etudiants Islamiques Indiens, puis du groupe islamiste pakistanais Lashkar-e-Taiba, aurait enseigné des rudiments d'hindi aux 10 terroristes qui ont semé la terreur pendant trois jours dans les rues de Bombay entre le 26 et 29 novembre 2008 et tué 164 personnes. Surtout, cet homme originaire de la région de Bombay les aurait guidés par téléphone tout au long de l'attaque depuis une base para-militaire au Pakistan, rassurés, puis motivés à continuer, comme semble confirmer les conservations téléphoniques interceptées par la police

Ces éléments étaient en partie connus par la police indienne, et sont confirmés ces jours-ci par ses aveux rapportés par la presse. Mais ce qui est plus inédit, c'est que cette arrestation aurait été possible grâce à la coopération de l'Arabie Saoudite. Les autorités de ce pays, ancienne base de recrutement et d'entrainement des terroristes djihadistes et jusqu'à présent très proche allié du Pakistan, ont arrêté, puis extradé Abu Jindal vers l'Inde, dans ce qui ressemble semble à un retournement d'alliance diplomatique. 

Ce changement de l'attitude de l'Arabie Saoudite peut représenter une vraie révolution dans la lutte contre le terrorisme international. C'est ce que suggère un expert de la question que j'ai interrogé. Découvrez son interview, très intéressante, sur le site de RFI



jeudi 28 juin 2012

Quand les enfants pauvres découvrent les écoles de riches

Cela pourrait ressembler à un rêve pour beaucoup, pour la plupart des enfants indiens. Eux qui doivent se serrer à 50 ou 60 par classe dans les écoles primaires, et découvrent souvent, en arrivant, que le professeur n'est pas venu. Eux qui reçoivent un des enseignements les plus caduques et les moins motivants qui soit, et sortent du coup de ce chemin du savoir bien trop tôt. 
L'enseignement public en Inde est un échec, et un chiffre le prouve tristement: un enfant sur deux n'atteint pas la classe de 6e. Dans un pays dont le tiers de la population, soit 400 millions de petits-bouts, a moins de 15 ans, cela fait un lourd fardeau pour la société. 

Face à un tel nombre, face à l'énorme corruption, l'Etat indien n'est malheureusement pas capable de construire assez d'écoles, de mieux former les enseignants pour retenir les enfants, ou de permettre aux parents d'avoir des revenus suffisants pour que ces petits ne soient pas obligés de travailler...
On le sait, la situation est complexe : du coup, une loi vient à la rescousse du gouvernement - ou ainsi est-elle présentée. Appelée Loi sur le Droit à l'éducation (Right To Education Act), elle oblige toutes les écoles du pays, à intégrer au moins 25% d'enfants de classes pauvres. Toutes les écoles, dont celles privées. Cette mesure, pour ces dernières, vient de rentrer en application à la rentrée de juin. 
Et c'est là que cela devient réjouissant pour les petits des écoles publiques, et que cela se complique pour les directeurs des écoles des riches : car ces nouveaux admis seront exemptés des frais de scolarité !

Pour entendre les remous que cette mesure provoque .... voici un reportage auprès de ceux qui vont peut-être, un jour, en profiter : les enfants des bidonvilles. 

En attendant, je vous laisse découvrir ces mêmes enfants en train de se défouler après une classe de rue, et reproduisant une chorégraphie de Bollywood ! 


Mais le mieux, c'est toujours de les entendre chanter ... et pour cela, rien de tel qu'un vrai enregistrement audio. Allez, c'est parti !

jeudi 3 mai 2012

Ces enfants que l'on marie

Elle a 18 ans, vit dans la campagne du Rajasthan,  et elle vient d'apprendre que son destin avait été écrit pour elle depuis longtemps : ses parents l'ont mariée avec un voisin quand elle n'avait qu'un an. 

Elle a 18 ans, et vient de faire quelque chose d'extraordinaire pour une fille illettrée de cette communauté : elle a réussi à faire annuler ce mariage. 

Un enfant dans le train de Bombay. ®SF
L'histoire de Laxmi est celle de la majorité des enfants des campagnes indiennes, mariées bien avant leur majorité par des parents qui suivent ainsi de lourdes conventions sociales, religieuses, ou purement économiques. Environ 60% des filles indiennes sont mariées avant l'âge légal de 18 ans, et ceci malgré l'interdiction d'une telle pratique depuis la loi contre les mariages d'enfants de 2006. Ces parents peuvent être punis de deux ans de prison, et d'une amende de 100 000 roupies (1500 euros) pour un tel acte. 

Mais l'application d'une telle punition est complètement illusoire, car personne ne se sert de cet outil. Personne n'ose s'élever contre son propre clan, sa propre famille. Les raisons derrière ces unions forcées sont multiples et profondément ancrées dans la société indienne, particulièrement au nord du pays. 

Au Rajasthan, certains veulent marier leurs filles très jeunes pour les protéger : dans ces campagnes désertiques, les enfants doivent en effet marcher plusieurs kilomètres pour aller à l'école ou chercher de l'eau au puits. Des parcours dangereux, pendant lesquels elles peuvent être violées... Or, quand ces filles sont mariées, elles portent souvent des signes distinctifs sur le visage, comme des chaines entre le nez et les oreilles ou des marques au front. Des indices respectés, qui pourront les protéger. 

Il y a aussi, bien sûr, des raisons religieuses : Laxmi, elle, a été mariée car sa grand-mère venait de décéder, et il est de bon augure dans sa communauté de célébrer un mariage dans les 30 jours suivant un décès.

Mais les motifs peuvent être également bien plus prosaïques : marier des enfants coute beaucoup moins cher, car les parents ne sont pas forcés de faire une réception somptueuse, et ils pourront même marier deux frères ou soeurs en même temps pour réduire les frais. La dot, enfin, sera bien moins élevée.

Laxmi, elle, est finalement une exception qui offre un certain espoir. Grâce à la conciliation intelligente offerte par la psychologue Kriti Bharti, cette fille a pu en partie reprendre son destin en main. Pour elle, ce n'est que le début d'une aventure dans l'inconnu : un premier pas vers une autonomie difficile pour les filles des campagnes indiennes. 

Pour écouter le témoignage de cette psychologue et l'histoire plus détaillée de Laxmi, voici mon reportage diffusée sur France Info.



Pour plus d'informations, je vous propose ce reportage très intéressant sur ce sujet, d'un journaliste au Rajasthan. 


Et voici le site de l'ONG MAMTA, qui travaille avec l'Unicef en Inde et au Bangladesh pour lutter contre le mariage d'enfants, et que je cite dans mon reportage.




vendredi 27 avril 2012

Les mères porteuses, nouvelle sorte de tourisme médical

 Si vous ne l'autorisez pas chez nous, on le fera ailleurs. Quitte à aller loin, très loin.
Un nombre croissant de couples français se rend en Inde ces dernières années pour mettre au monde "leur" enfant par mère porteuse, contournant ainsi la stricte interdiction de cette procédure de procréation assistée qui sévit en France. La Cour de Cassation a en effet banni la "gestation par autrui" en 1991, ce qui a été confirmé par l'inscription dans le code civil de la notion de "non-patrimonialité du corps humain".

Les couples français qui viennent en Inde se posent la question différemment : ils cherchent  désespérément à avoir un enfant, après des tentatives répétées et infructueuses de fécondations in vitro. Cette procédure de "gestation par autrui" permet de remédier à cela : on utilise leurs gamètes, ou en tout cas celles de l'une des personnes si l'autre est stérile, et leur enfant portera donc cette empreinte génétique, à la différence d'un bébé adopté. Et cet acte va en général plus vite qu'une démarche d'adoption. 
Il y a aussi, signe du temps, de plus en plus de couples homosexuels, qui contournent ainsi avec distance les tabous et interdits de nos sociétés.


En Inde, le problème est vu par l'autre bout : c'est un commerce avant d'être un problème éthique (voir ce cas d'une Canadienne qui a payé deux mères porteuses pour arriver à ses fins). Les cliniques "naissent" en nombre depuis dix ans, mais aucune loi n'a encore été votée pour réguler cette nouvelle forme de tourisme médical. Un projet de loi est en souffrance dans les couloirs du ministère de la Santé depuis 2010, et ne semble pas vouloir en sortir. "Business as usual" : dans un pays où plus d'un tiers de la population vit avec moins d'un dollar par jour pour vivre, ce nouveau commerce des ventres est une bonne nouvelle : une femme peut être payée environ 7000 euros en neuf mois de gestation assistée. Soit l'équivalent de dix ans de salaire, si elle continuait à travailler comme domestique à la campagne. 

Le problème, cependant, ne manquera pas de surgir, quand des cliniques sans scrupules passeront par des femmes trop faibles pour avoir un enfant, et finiront par les abandonner dans la souffrance. Le projet de loi prévoit d'offrir une assurance-vie à ces mères  porteuses, ce qui serait bien le moindre des cadeaux pour celles qui offrent la vie à ceux qui ne peuvent pas le faire.

En attendant, les couples français qui vont au bout de cette procédure rencontrent toutes les difficultés possibles pour pouvoir rentrer avec leur nouveau-né : les autorités consulaires refusent en général de lui délivrer un laissez-passer. Quand ils y arrivent finalement, ce sont les tribunaux de métropole qui rejettent les demandes d'inscriptions à l'état civil. Une décision de la cour d'appel de Rennes, cependant, semble indiquer une première, et légère, ouverture législative sur le sujet.


Pour aller plus loin, voici ma chronique sur ce sujet, sur France Info.

jeudi 22 mars 2012

Des essais cliniques à hauts risques



Niranjan Pathak, 82 ans, a suivi un essai clinique à son insu
pour ses problèmes cardiaques.
Aujourd'hui, il souffre de démences qui pourraient être liées à ces tests.


Ils étaient pauvres, peu éduqués, voire illettrés, et surtout, malades. Face à eux, un docteur multi-spécialiste et expérimenté, blouse immaculée et stéthoscope autour du cou, leur offrait la délivrance, le remède salvateur : "Ce nouveau médicament vous soignera complètement. Il vient des Etats-Unis, et il est gratuit. Vous n'avez qu'à signer ici". Tels sont les mots qu'aurait utilisé le docteur Ashok Bajpai pour inciter Krishna Gehlot, asthmatique de 61 ans, à participer à un essai clinique. 
Ce vieil homme, qui n'avait pas terminé l'école primaire, a en effet signé. Deux ans après, ce "traitement américain" ne l'avait pas soigné, bien au contraire. Son état avait encore empiré : il ne pouvait plus travailler et avait beaucoup maigri.
Krishna Gehlot est mort en janvier dernier, quelques semaines seulement après avoir appris que ce médicament magique n'avait en fait jamais été approuvé en Inde.


Pradeep Gehlot, fils de Krishna Gelhot.
Son cas est loin d'être isolé : comme Krishna Gehlot, plus de 1800 patients pauvres de la ville d'Indore ont suivi, à leur insu, des essais cliniques, entre 2005 et 2010. Comme lui, des centaines de personnes peu éduquées ont pris des risques sans qu'on ne leur explique vraiment leurs conséquences, et si leur pauvreté devait les pousser à mettre leur santé en jeu : une femme à peine lettrée qui venait d'accoucher s'est vu offrir des vaccins gratuits pour son garçon de deux jours, contre une signature sur "quelques documents administratifs". Le test illégal, mené à la volée, a finalement été arrêté quand l'enfant a commencé à avoir des tâches blanches sur tout le corps...

Tels sont les débordements éthiques qui arrivent sûrement régulièrement en Inde, et qui ont été révélés dans cette ville d'Indore grâce au courage et à l'opiniâtreté de certains docteurs et avocats qui les ont dénoncés. 
Des excès quasiment naturels, peut-on dire, dans une telle configuration : vous avez d'un côté des patients peu éduqués et pauvres, qui ne peuvent payer des traitements parfois longs et compliqués. Et de l'autre, des docteurs, qui sont payés entre 700 et 1000 euros par patient recruté pour un essai clinique, et voient arriver dans leur cabinet des personnes qui leur supplient du regard de bien vouloir trouver une solution peu onéreuse et miraculeuse à leurs soucis de santé. 

L'essai clinique est a priori le produit magique pour réunir les deux mondes. 
Le seul obstacle à cette union sauvage porte un nom : l'éthique. Celle-ci devrait pousser le docteur à prendre le temps d'expliquer les conséquences néfastes envisagées dans ce traitement, avec le risque de voir la personne refuser d'y participer. Quelques minutes de réflexion, concrétisées par ce qu'on appelle "le formulaire de consentement éclairé".

Or ces médecins d'Indore ont allégrement sauté cet obstacle, et fait ainsi voler l'éthique en éclat. Des personnes illettrées signaient ce consentement de leur pouce sans la présence d'aucun témoin, ce qui est pourtant obligatoire si on veut que cette personne comprenne le document. D'autres consentements n'étaient pas remplis correctement, ou, tout simplement, on ne leur présentait qu'une seule page, au lieu des 17 obligatoires, bien plus détaillées.
 
Finalement, 33 personnes sont mortes pendant ou après ces tests cliniques. 81 ont subi des effets indésirables graves, dont des enfants et des handicapés mentaux.

Un collaborateur de l'ONG Swastha Adhikar Manch,
examine les documents des essais cliniques.
Ce problème est général en Inde, et ne fait qu'empirer : non seulement les médecins indiens ne sont pas formés à l'éthique, et ont du mal à juger réellement quand un consentement a été bien pris, mais personne ne vient inspecter sur le terrain que ces essais sont bien faits. Le seul organe local qui supervise ces tests est le comité d'éthique. Or, à Indore, plusieurs médecins siégeaient eux-mêmes dans ce comité qui était censé juger leur travail !

Ce qui est gênant pour nous, c'est que la grande majorité de ces essais cliniques sont faits pour les grands laboratoires occidentaux et japonais, comme Pfizer, Novartis et Sanofi, qui délocalisent de manière croissante ces tests en Inde : ils sont deux fois moins chers, et bien plus rapides à réaliser. On aura compris pourquoi.

Pour suivre l'enquête que j'ai réalisée et comprendre comment peut se diluer l'éthique chez les plus grands médecins, retrouvez ici mon documentaire sur RFI. Et, en résumé alléchant, l'article qui y est lié.


Je tiens ici à remercier Amulya Nidhi, avocat infatigable et dévoué de l'ONG Swastha Adhikar Manch, qui s'est battu pour mettre au jour les centaines de documents qui ont prouvé ces irrégularités. Et sans qui cette enquête n'aurait pas été aussi aboutie.


jeudi 2 février 2012

"The Virtual Classes", et le professeur devient virtuel


Un vent de révolution souffle sur les écoles secondaires de Bombay, et a emporté les professeurs pour les remplacer par des télévisions. Et cette révolution porte un nom :  "The Virtual Classes", ou "Classes Virtuelles". 
Dans ce nouveau monde de l'éducation, le professeur donne son cours face à une caméra, depuis un studio, avec comme seule compagnie un grand tableau blanc et un marqueur rouge. Son cours est ainsi filmé et rediffusé en direct, par satellite, dans 147 classes du 10e niveau scolaire indien (l'équivalent de la 3e française), dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres. Les enfants de 15 ans, eux, sont assis par terre, et écoutent. Ils entendent, plutôt. Et essaient de suivre, tant bien que mal.
Entre les deux univers, un ordinateur est censé permettre aux enfants de poser des questions. Mais personne ne sait vraiment comment il fonctionne.

Cette méthode d'enseignement 2.0 a été lancée il y a un an par la mairie de Bombay, dans la plupart des écoles publiques secondaires de la grande agglomération. Son objectif annoncé: offrir des moyens pédagogiques modernes à des enfants de familles pauvres, grâce à l'introduction d'images et vidéos. Des moyens, donc. Mais dans quel but pédagogique ?  J'ai eu beau poser la question des dizaines de fois, à tous les échelons, du professeur au responsable de la mairie, je n'ai eu qu'une seule réponse: c'est moderne, donc c'est bien. Et comme argument massue: ces enfants d'écoles publiques vivent dans des bidonvilles, donc c'est un privilège pour eux. 

En effet, les moyens sont clinquants et démesurés. Une télévision plasma d'1,5 mètre de large trône au-dessus d'un ordinateur tout neuf, dans une classe qui n'a même pas de chaises ou de tables. Répliqué à 147 écoles secondaires de la mégalopole de Bombay, le budget s'élèverait à 2 millions d'euros en équipement.

Le résultat, que j'ai constaté en assistant à une heure de classe de mathématiques, dans une école d'Andheri : le professeur devient une machine qui aligne les équations sur un tableau blanc, et semble oublier qu'il doit attendre que les enfants aient compris le calcul pour effacer les formules. Et des enfants qui regardent la télévision comme une distraction, et ressortent de là plus confus qu'éclairés. 

Ce projet couteux semble, au mieux, sorti du cerveau d'un ingénieur de Bangalore, qui ne jurerait que par la modernisation des moyens et oublierait de se poser la question de son efficacité sur le terrain. Il ne vient en tout cas pas régler les vrais problèmes de l'enseignement public, comme l'inefficacité des méthodes pédagogiques des professeurs, ou l'effrayant absentéisme de ces enseignants, qui s'élève à 25% du corps professoral à un moment donné, bien derrière le Bangladesh (16%), ou le Pérou(11%).


Mais, malheureusement, la politique a aussi des raisons que l'on connait trop bien. Comme me le confiait une spécialiste de l'éducation, l'un des grands avantages d'un tel investissement en matériel, est que les élus de la mairie peuvent facilement détourner une partie du budget alloué sous forme de grasses commissions. Une plus-value officieuse qu'il serait bien plus difficile à sous-tirer en lançant un vaste programme de formation de professeurs.

Pour suivre ce cours de mathématiques en hindi avec moi, et entendre l'opinion - divergente- des professeurs et directeurs d'établissement, venez écouter ce reportage sur France Info.

Vous pouvez aussi profiter d'un cours virtuel... de manière encore plus virtuelle, par cette vidéo !


mardi 24 janvier 2012

L'affaire Salman Rushdie, ou la victoire des extrêmistes

Salman Rushdie ©
Il est reconnu comme l'un des meilleurs écrivains indiens des dernières années; il a décrit dans la prose complexe des "Enfants de Minuit" la naissance aux forceps de l'Inde moderne ; et a reçu pour cela l'une des plus grandes distinctions littéraires, le Booker Price. 
Mais en Inde, son pays de naissance, Salman Rushdie est un paria. Un danger pour "l'équilibre social et communautaire", pour la "sécurité". 
L'Inde a été le premier pays au monde à interdire "Les Versets Sataniques", dès sa sortie en 1988, et encore aujourd'hui, non seulement l'ouvrage est toujours banni des librairies, mais le gouvernement assure que certains groupes musulmans indiens seraient capables de tenter de le tuer s'il remettait les pieds dans le pays. 
Plus de 20 ans après la rédaction de cet ouvrage, des milliers de fanatiques ou d'incrédules continuent à voir dans les rêves d'un personnage fictif la moquerie de toute une religion et de son prophète. Ceci, pour les quelques rares individus qui ont vraiment lu "Les Versets Sataniques".

Cette intense et nauséabonde controverse est née suite à l'annonce de la venue de Salman Rushdie au festival de littérature de Jaipur, qui se tient depuis le 20 janvier dans cette ville du Rajasthan. Plusieurs jours avant le festival, certains groupes musulmans avaient appelé à manifester si son invitation était maintenue. Puis ce fut au tour du gouvernement fédéral et national de demander à Rushdie d'annuler sa visite, pour "raison de sécurité". Face à son refus, le gouvernement du Rajasthan aurait fait l'inimaginable : ces élus auraient fait croire que des assassins de Bombay avaient été engagés pour assassiner Salman Rushdie. Menace crédible, qui a persuadé l'auteur à rester en Angleterre. Mais menace fabriquée de toutes pièces, selon l'enquête menée par le journal The Hindu

Cette mauvaise intrigue d'espionnage est lugubre et triste. Car elle révèle d'abord à quel point le gouvernement indien, à ses différents échelons, plie devant les menaces de certains groupes musulmans qui menacent un citoyen d'actions violentes, voire meurtrières. Et il avoue ainsi son incompétence, ou, pire, son manque de volonté, de protéger ses ressortissants face à l'extrêmisme religieux. Enfin, et surtout, ces élus enterrent ainsi la possibilité de faire avancer la liberté d'expression dans ce qui est trop souvent appelé "La plus grande démocratie du monde". 

Je vous renvoie vers certaines chroniques passionnantes, parues ces jours-ci sur le sujet, dont les simples titres indiquent la gravité du moment : 
"The national shame", The Hindu


jeudi 19 janvier 2012

Dharavi, un bidonville qui vaut des millions


C'est un bidonville. Mais pas comme les autres. 
C'est une pépite gardée à l'état brut, recouverte de tellement d'impuretés et de salissures qu'il est impossible de voir sa qualité à l'oeil nu, d'évaluer sa valeur, même au toucher. Rares, de toutes façons, sont les personnes extérieures qui viendront plonger leurs mains dans cet océan anarchique.
Les yeux du monde entier, pourtant, se sont attardés sur Dharavi, bête de scène exceptionnelle et lieu de la naissance inédite du mélange entre Hollywood et Bollywood, au travers du film de Danny Boyle, "Slumdog Millionaire". Nos millions de jambes virtuelles se sont fatiguées à courir avec les petits enfants crasseux, dans ces ruelles étroites et interminables, dans les allées frénétiques qui regorgent d'une activité incessante. 
Mais une fois la lumière revenue dans la salle de cinéma, les spectateurs ébahis n'avaient pourtant pas pu voir la vraie couleur de l'or qui se cache dans ces rues, qui accueillent plus de 700 000 habitants, pour en faire l'un des plus grands bidonvilles d'Asie.
 



  























Dharavi représente l'un des poumons industriels de Bombay : c'est dans ces ruelles souvent trop étroites pour laisser se croiser deux personnes, qu'est recyclé une grande partie du plastique, de l'aluminium ou d'autres déchets de cette ville tentaculaire. Les restes de jouets, de pare-chocs de voitures brisés ou de ventilateurs laissés pour morts sont récupérés, transportés, recassés, triés, broyés, fondus, puis finalement remodelés pour une deuxième vie sous la forme de poignées de parapluie, de chaises en plastique.
A la nuit tombée, quand le bruit de la broyeuse de plastique s'arrête, c'est une autre mélodie qui s'élève; celle des machines à coudre les milliers de jeans qui sont préparés pour habiller les "Mumbaikars".   
Finalement, repus de tant de bruit, les migrants du Bihar vous ouvriront un atelier sombre et calme, où des dizaines de jeunes petites mains travaillent les broderies dorées d'une tunique commandée par un riche qatari. 
Le bidonville de Dharavi, c'est aussi tout cela; une usine informelle et bruyante qui crée certainement plus qu'elle ne vole, et engendre un chiffre d'affaires estimé à 500 millions d'euros par an. 

Mais cet équilibre de vie improvisé est en pleine mutation. Car Dharavi, fondé de manière informelle il y a près d'un siècle par les migrants sur d'anciennes mangroves en bordure de Bombay, se retrouve aujourd'hui en plein coeur de la capitale économique et financière d'une Inde en pleine croissance. A deux pas, par exemple, du nouveau quartier d'affaires de Bandra-Kurla Complex, avec sa bourse aux diamants, ses grands hôtels et consulats. Les 2 hectares de Dharavi valent donc de l'or. Et les entrepreneurs lorgnent sur ces terrains avec envie.

De nombreux plans de relogement ont été dressés pour reloger ces squatters légalisés, et optimiser commercialement ces terres. Le plus avancé est celui de Mukesh Mehta, qui a été approuvé en 2007, avant d'être suspendu lors de la crise financière de 2008.
Aujourd'hui, ce plan pourrait être relancé, sous une nouvelle forme. Cela serait alors toute la vie de ces centaines de milliers de personnes qui serait complètement chamboulé, et obligerait de réinventer toute son économie. 

Entrez dans le monde fascinant de Dharavi par ce diaporama, et venez écouter ce que pensent les habitants des nouveaux plans de relogement, dans ce Grand Reportage diffusé sur RFI. 
 




mardi 3 janvier 2012

Anna Hazare, une star bollywoodienne en baisse de popularité

La foule attend leur héros Anna à Bombay, le 27 décembre,
pour sa 3è grève de la faim.

C'est un spectacle qui dure, et comme tous les grands shows bollywoodiens, il vous tient en haleine, s'interrompt, pour mieux reprendre dans un nouvel épisode.

Anna Hazare est âgé de 74 ans, mais il a décidé de prendre le temps. Le temps serait son arme dans un combat anti-corruption qui semble impossible à remporter. Il suspend ce temps en cessant de s'alimenter, ce qui ne fait qu'accélérer la cadence autour de lui. Il s'isole dans un mutisme quasi-complet pendant ses jeûnes alors que tous ne veulent que l'entourer, l'embrasser, le faire parler. L'immobilité physique comme ultime force de réforme de la société. Gandhi, dont il se réclame, l'avait maitrisée avec brio; il faut un charisme exceptionnel pour réussir à user de cette puissance décuplée, et Anna Hazare en est muni. 

Mais Anna Hazare faiblit. Anna Hazare doute. Et contrairement aux héros de Bollywood, Anna Hazare n'est pas démiurge. Il n'obtiendra que ce que les professionnels de la politique voudront bien lui donner.

Le jeûne de Bombay est couvert comme un film de Bollywood
Et les quelques manifestants devenus de vrais acteurs de l'actualité













Anna Hazare a interrompu sa troisième grève de la faim, à Bombay, le 29 décembre dernier, dans la précipitation face à un manque de réponse de ce peuple de masse qui créé cette arme charismatique, à une santé fléchissante dans l'hiver tropical, et un parti du Congrès qui a réussi à rassembler une majorité pour faire passer son projet de loi à la Chambre basse

Le gouvernement n'a cependant pas eu le dernier mot, comme il est de coutume avec ce Parlement indien incontrôlable, où le principal parti d'opposition du BJP est aussi immature et bassement calculateur qu'il rejette toute tentative de réforme qui serait présentée par son ennemi du Congrès. La loi n'est pas passée à la Chambre haute. Le BJP y avait bien miné le terrain, muni de 187 amendements sur lesquels il fallait voter en quelques heures. Autant dire une obstruction en règle. 

Un manifestant qui doit avoir
le même âge qu'Anna
Anna Hazare a remporté les deux premières manches - ses deux premières grèves de la faim, la première car le gouvernement avait été pris de court, la deuxième par son manque de calcul politique -  mais le gouvernement est en train de reprendre la main. 

Selon les politologues que j'ai consultés, la forme actuelle de la loi anti-corruption proposée par le gouvernement serait "un tigre de papier". D'autres parlent d'un "organe sans dents", sans pouvoir d'action. Le Lokpal, grand médiateur et investigateur central qui serait chargé d'enquêter sur les actes de corruption des fonctionnaires, serait, sur le papier, dépourvu de tout pouvoir de poursuite. En gros, il pourrait enquêter, puis remettre ses conclusions au bureau central d'investigation, le même corps policier qui n'a pu éviter ni punir l'énorme majorité des détournements publics des dernières décennies. 

Cette réforme accoucherait d'un organe inoffensif, qui n'irait sûrement pas déranger ceux qui la créent et sont en même temps, malheureusement,  les premiers suspects dans cette histoire. 

La force de l'immobilité. Le gouvernement aurait alors retourné l'arme contre le pauvre Anna Hazare, qui aurait usé sa santé pour une fausse réforme.

La suite au prochain épisode.


Pour entendre les manifestants et l'ambiance, voici un reportage diffusé sur France Info. Cette version n'est pas doublée, mais la plupart est compréhensible.