jeudi 4 octobre 2018

L'homosexualité enfin dépénalisée en Inde

Cela aura pris 157 ans pour définitivement éradiquer cette trace puritaine de la colonisation britannique. Le 6 septembre dernier, la Cour Suprême a définitivement abrogé l'article 377, qui punissait de peines de prison les "actes contre nature", et donc homosexuels. 
Emotions et explosions de joie devant la Cour Suprême, dans cet article à suivre, publié dans le Libération du 7 septembre. 
Et par la suite, mon documentaire sur RFI sur l'émergence des nouvelles opportunités économiques pour la communauté LGBT : la naissance de l'économie rose.  


Ce sont d’abord les larmes qui sont sorties. Puis Ali s’est effondré, à genoux, sur la pelouse de la Cour suprême. La nouvelle vient de tomber, les cinq juges de l’institution indienne ont mis fin, jeudi, à cent cinquante-sept ans de discrimination officielle envers les homosexuels. Et ce gay trentenaire, musulman, est foudroyé de bonheur : «Cela a été un combat si long pour nous tous. Tellement de gens ont souffert à cause de cette loi. Maintenant, au moins, nous pouvons avancer vers plus d’égalité dans ce pays», lâche-t-il les yeux rougis, entre deux sanglots nerveux. Autour de lui, ses compagnons de lutte le cajolent, une main rassurante sur l’épaule : «C’est un moment de joie, Ali. Car ça y est, nous sommes en sécurité.»

«Dignité»

Les drapeaux arc-en-ciel jaillissent et des processions dansantes s’organisent dans les grandes avenues de New Delhi. «Nous allons chanter des chansons homosexuelles pour faire savoir à tous que nous existons, et que personne ne pourra nous faire disparaître»,clame Divyani, une militante lesbienne.
A Chennai, dans le sud-est de l'Inde, jeudi.
A Chennai, dans le sud-est de l’Inde, jeudi. Photo ARUN SANKAR. AFP
Son audace fait écho au jugement historique des magistrats de la plus haute cour du pays. L’un d’entre eux a commencé par s’excuser auprès de la communauté homosexuelle, et au nom de la société indienne, pour la discrimination autorisée jusqu’alors par l’article 377 du code pénal indien. Celui-ci, rédigé en 1861 alors que le pays était une colonie britannique, punissait de dix ans de prison toute «relation charnelle contre nature». Il était utilisé par la police et les milieux conservateurs pour harceler les homosexuels. Les juges ont considéré qu’une telle «criminalisation d’actes sexuels entre des adultes consentants est inconstitutionnelle», et que «le choix d’une orientation sexuelle relève des droits fondamentaux à la vie privée, à la dignité et à la liberté d’expression».
Cet article ne pourra donc plus être appliqué que pour réprimer des actes sexuels avec des mineurs ou des animaux. «Les mots utilisés par les juges nous ont donné les larmes aux yeux, témoigne Monish Malhotra qui se bat depuis dix ans pour cette cause. Ils ont affirmé que l’identité d’un individu était sacrée et que toute personne devait avoir le droit à l’intimité.» Autant de propos novateurs dans un pays où la société et la famille imposent souvent leur choix marital et même sexuel aux enfants. «Et ils sont allés jusqu’à demander à ce qu’on lutte maintenant contre l’hétérosexualité forcée», conclut-il, les yeux ravis.
Le combat aura été long. C’est dans les années 90 qu’une association de malades du sida a demandé pour la première fois à la justice d’invalider l’article 377 du code pénal. Mais il faut attendre 2009 pour que la cour d’appel de Delhi invalide ce texte, sur requête d’une autre ONG. Pendant les auditions d’alors, le procureur adjoint affirme que l’homosexualité est un «vice social qui peut mettre en danger la paix dans le pays et entraîner une contagion générale du sida. L’Etat doit combattre ce vice».
Puis, des groupes religieux portent l’affaire devant la Cour suprême et obtiennent, à la surprise générale, qu’un juge conservateur brise la décision de la cour de Delhi en affirmant que c’est au Parlement de se prononcer. Ce sont finalement six personnalités homosexuelles du monde de l’hôtellerie et des arts – dont Aman Nath, le cofondateur de la chaîne d’hotels franco-indienne Neemrana – qui ont convaincu les juges.


Changement

Cette fois, cette victoire semble, plus acceptée. Le Rashtriya Swayamsevak Sangh, plus grande organisation hindouiste du pays d’où est issu le Premier ministre Narendra Modi, a toujours férocement combattu les homosexuels. Aujourd’hui, il a (légèrement) évolué : «L’homosexualité n’est pas un crime, mais ce n’est pas naturel non plus», a affirmé jeudi un porte-parole du mouvement. Le BJP, parti au pouvoir, a refusé de commenter le jugement, mais beaucoup de ses membres l’ont condamné. Le Congrès national indien (centre gauche, opposition), a positivement «accueilli cette victoire contre les stigmatisations».
Dans cette société conservatrice, il faudra donc du temps pour que la majorité des Indiens considèrent cette orientation sexuelle comme normale, mais les juges ont pesé de tout leur poids pour initier ce changement. Ils ont exigé que le gouvernement diffuse largement leur verdict et qu’il mette en place des sessions de sensibilisation à ce sujet pour les fonctionnaires et les policiers. Pour le journaliste gay Premikur Biswasquelque chose de très concret a changé : «Quand on frappera à ma porte, je n’aurai plus peur que ce soit la police qui vienne m’arrêter. Ce sentiment de culpabilité a soudainement disparu.»

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