mercredi 27 janvier 2021

Contre les musulmans, les hindouistes préfèrent la haine à l’amour

Monsieur Owaish et Madame Tikaram se sont rencontrés sur les bancs du lycée et leur amitié s’est rapidement transformée en passion amoureuse, poussant les deux amants à prendre le large pendant quelques jours, l’année dernière, loin de leur famille. Cependant, le père de la jeune fille a désapprouvé leur union et l’a rapidement mariée à un autre homme.

La flamme du jeune Ahmed Owaish ne s’est pas éteinte pour autant et il a continué à courtiser l’élue de son cœur. Mal lui en a pris, car depuis quelques jours, l’amour entre ce musulman et cette hindoue est périlleux dans son Etat de l’Uttar Pradesh (nord) : le gouvernement de l’Etat le plus peuplé du pays, dirigé par le moine nationaliste hindou radical Yogi Adityanath, a adopté samedi 28 novembre un décret qui punit de dix ans de prison maximum toute personne qui cherche à en convertir une autre par le biais du mariage.

Fondre le cœur des femmes

Ahmed Owaish est ainsi devenu le premier à être accusé de ce crime, après la plainte déposée par le père de madame Tikaram. Et il a été envoyé en détention provisoire. Pour les hindouistes indiens, la persistance des musulmans comme lui à vouloir épouser des hindoues constitue un risque culturel et existentiel, car elle s’inscrirait dans un plan plus large de conversion de toutes les jeunes hindoues – une volonté d’islamiser l’Inde en faisant fondre le cœur des femmes, qu’ils ont nommé le «jihad de l’amour».

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Cette crainte ressemble toutefois à une théorie du complot : l’agence nationale antiterroriste, qui a enquêté sur de telles accusations, n’a pu trouver de signe d’une telle mission jihadiste. Le BJP du Premier ministre, Narendra Modi, a reconnu devant le Parlement n’avoir aucune donnée sur de tels actes, mais continue à accuser les hommes musulmans de «voler nos femmes». Signe d’une mentalité patriarcale des hindouistes, qui craignent que leurs filles s’émancipent et choisissent leur mari contre la volonté de leurs parents.

Les unions entre hindous et musulmans sont pourtant extrêmement rares, du fait de la grande défiance entre les deux communautés. Certaines hindoues, généralement plus éduquées, osent toutefois prendre ce risque, par amour. Et les tribunaux, saisis pas leurs parents, ont reconnu, à chaque fois, leur droit de choisir leur mari, même s’il est musulman.

Bans et cibles

Ces femmes ne sont pas obligées de se convertir pour le faire, mais le mariage religieux est bien plus facile qu’une union civile interreligieuse, qui oblige la publication des bans pendant un mois, ce qui transforme ces futurs époux en cible potentielle des hindous radicaux.

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Ces couples réclament la simplification de cette procédure civile pour éviter de se convertir, mais les hindouistes semblent plutôt vouloir politiser ces mariages pour diaboliser les hommes musulmans, et continuer à les présenter comme les ennemis de l’intérieur aux yeux de leurs électeurs hindous. Deux autres Etats dirigés par les nationalistes hindous du BJP ont prévu de passer des lois similaires. Ce qui leur offrira, comme en Uttar Pradesh, un nouvel outil pour harceler les jeunes couples interreligieux et rendre impossible l’amour entre hindoues et musulmans.


Article publié dans Libération le 4 décembre 2020

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