vendredi 15 mai 2020

Narendra Modi et la mise en scène du confinement

En ces temps incertains, le Premier ministre indien a voulu s'assurer qu'il garder le contrôle sur sa population par des artifices ingénieux.  


«Namaskar !» Nous sommes le 19 mars, l’Inde compte 200 cas confirmés de Covid-19 pour quatre décès, et Narendra Modi apparaît, solennel, sur tous les écrans de télévision du pays. Les mains jointes devant sa barbe blanche bien taillée, le Premier ministre est venu demander aux Indiens de respecter un «Janata curfew», comme il l’appelle : un confinement populaire et volontaire d’une seule journée, pour le dimanche suivant. Et surtout, le Premier ministre invite les Indiens à faire du bruit, à 5 heures de l’après-midi, pendant cinq minutes, depuis leurs balcons ou terrasses, en l’honneur des médecins et autres policiers restés au front.
A LIRE AUSSI

Et, le jour intimé, les Indiens s’exécutent : munis de casseroles ou de conques religieuses, des millions sortent sur leurs balcons pour faire résonner leur enthousiasme et obédience à l’unisson. Certains, zélés, dépassent même les instructions et descendent dans la rue, se rassemblent en groupes pour mener des mini-processions bruyantes. Ci-gît la précieuse distance sociale. Baissez le rideau.

Marketing et croyances ancestrales

Ainsi s’est déroulé l’acte I de la mise en scène du confinement, par Narendra Modi. Car le Premier ministre indien est un communicant hors pair, un professionnel de l’évènementiel politique à l’ère du numérique. Et après le son, il va offrir la lumière. Deux semaines après ce premier discours, alors que les Indiens, amateurs des grandes foules, ont déjà goûté à près de dix jours d’un cruel isolement, Narendra Modi annonce l’acte II du confinement : le 3 avril, la population est cette fois priée d’allumer des bougies, pendant neuf minutes, à 9 heures du soir. Encore une fois, la proposition semble sortie d’un manuel de marketing, facile à retenir grâce à ce chiffre qui se répète. Et pas n’importe quel chiffre : le 9 est l’un des plus propices pour les hindous et il est surexploité à cette occasion, car ce discours a été diffusé à 9 heures du matin, après neuf jours de confinement, et demande aux Indiens d’agir le 5 avril (5/4) !
A LIRE AUSSI

Le message a également une résonance culturelle, voire religieuse : l’illumination de bougies fait référence à la fête hindoue de Diwali, célébration des lumières qui a lieu en automne et dont l’objectif symbolique est de lutter contre l’arrivée des ténèbres de l’hiver. Narendra Modi convoque donc avec brio les croyances ancestrales des Indiens et la religiosité profonde de ce peuple. Cela permet déjà de mettre du baume au cœur à cette population si sociale, qui peut ainsi «se rassembler» à distance pendant quelques instants dans de mêmes gestes. Mais le Premier ministre est surtout un homme politique obsédé par le contrôle vertical de ses administrés et ainsi, au lieu de laisser se développer des gestes de solidarité naturelle comme en Italie ou en France, il vient dicter ces moments de spontanéité. Pour montrer qu’il reste aux commandes et se présenter, plus que jamais, comme le père bienveillant et omniscient du peuple indien.

Article paru dans Libération du 17 avril

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire